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piété de quelques fidèles procure à tous les autres les moyens de prier, de s’instruire, d’étancher leur soif et de faire leurs ablutions, comme le prescrit la loi, avec une eau préservée de toute souillure ; ainsi, d’autre part, ont été sauvés de la dispersion, ou de la destruction, une quantité d’objets précieux, au double point de vue de l’art et de l’histoire, et se sont constitués d’admirables collections de bijoux, de vêtements, de meubles, de reliures, de livres imprimés et manuscrits.

La « Bibliothèque Nationale » installée dans une jolie médressé, à quelques pas de la Mosquée du Conquérant, est actuellement conservée par son fondateur et ancien propriétaire. Pendant plus de trente ans, Ali Emiri Effendi, ancien fonctionnaire du Palais, a parcouru toutes les provinces de l’Empire, consacrant son talent et sa grande fortune à la recherche et à l’acquisition de tous les documents concernant l’histoire, les mœurs, les traditions de son pays. Il a réuni ainsi quinze mille volumes, rares ou uniques, et une importante collection d’autographes, où figurent, à côté des plus belles calligraphies persanes et arabes, des versets du Coran tracés par des mains impériales, un manuscrit de Jean-Jacques Rousseau et une lettre d’Emile Zola. Dans les vitrines sont exposés les livres enluminés, les miniatures, et ces curieux atlas où des géographes ont décrit et figuré, avec une minutie naïve, tous les ports de la Méditerranée, de Constantinople à Gibraltar, et d’Alexandrie à Mazaghan ; monuments où éclatent tantôt la gloire et tantôt l’ambition des Grands Seigneurs.

A côté de la grande salle qui renferme toutes ces richesses, Ali Emiri a aménagé une petite salle de lecture, ouverte tous les jours aux étudiants. Il rédige à lui tout seul une Revue d’histoire et de littérature ottomanes, dont chaque numéro relate quelque trouvaille, pour ne pas dire quelque découverte. Cet homme de bien et ce grand travailleur vient d’être chargé par le Sultan d’inventorier et de classer les nombreux documents, — quelques centaines de mille, à l’estimation d’Ali Emiri, — relatifs à l’histoire de la maison impériale et entassés jusqu’à présent dans des caisses à Sainte-Irène. Le bon archiviste s’est aussitôt mis au travail et se plaint seulement que l’ordre souverain lui ait été donné trop tard pour qu’il puisse l’exécuter entièrement avant de mourir.

Réunies en un seul dépôt, les collections de l’Evkaf formeraient