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si graves, éclatèrent de rire, et l’un d’eux répondit : « Non, ce n’est pas vrai. Mais, alors que l’homme est enseveli dans trois pièces de toile, il en faut cinq, selon le rite, pour ensevelir une femme. »


MŒURS, TRADITIONS, CULTURE

Le lecteur n’aura que trop aperçu, à travers ces conversations, dont j’ai voulu reproduire fidèlement, sinon la teneur intégrale, du moins la physionomie et l’ordonnance, combien il est difficile d’accorder deux dialectiques aussi différentes que celles d’un chrétien d’Europe et d’un musulman d’Orient. Chacun d’eux a sa méthode de pensée et de discussion, qui n’est pas celle de l’autre : mais il ne faut pas que cette difficulté à se comprendre soit érigée, par malveillance ou paresse d’esprit, en obstacle absolu. Nous n’en devons pas moins essayer mutuellement de nous comprendre.

Un jour que je me plaignais à Hakil Mouktar Bay, doyen de la Faculté de médecine de Constantinople, de la difficulté que j’éprouvais à comprendre les Turcs et à me faire comprendre d’eux, il me répondit : « Les deux difficultés ne sont pas égales, car nous connaissons mieux l’Occident que nous ne sommes connus de lui, et nous entrons plus aisément dans vos habitudes d’esprit que vous n’entrez dans les nôtres. » Cependant, pour qu’il y ait rapprochement, pénétration réciproque, il faut que l’effort de l’un pour comprendre l’autre soit égal des deux côtés. Or la mentalité d’un peuple est fondée en grande partie sur sa religion ; la religion, quelle qu’elle soit, constitue et constituera longtemps encore un élément essentiel du caractère intellectuel et moral d’une nation.

« Le malheur est que, jusqu’à présent, historiens, savants et critiques ont toujours recherché et mis en relief ce qui distingue, ce qui oppose les religions entre elles. Les conclusions des savants ne pouvaient manquer d’être exploitées par les politiciens, pour des fins qui n’ont rien à voir avec le progrès ou le bonheur de l’humanité. Le jour où nos travaux tendraient au contraire à dégager le fond commun de toutes les religions, à mettre en lumière les caractères qui les rapprochent et les unissent, je crois que la civilisation du monde aurait fait un grand pas en avant. »