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détruit l’illusion de ceux qui, parmi nous, s’étaient forgé de la civilisation européenne une conception idéale et paradisiaque. Loin de concentrer obstinément ses regards sur l’Occident, notre jeunesse d’aujourd’hui cherche ses raisons de vivre en elle-même, dans les vertus de sa race ; c’est vers l’Islam qu’elle se tourne, et vers la solidarité musulmane. »


A PROPOS DE DROIT MUSULMAN

L’union intime, indissoluble, entre religion et législation était un des caractères sur lesquels Fatim Effendi avait insisté avec le plus de force. Il semblait y voir, pour sa part, une garantie d’ordre, une raison d’harmonie et même un ferment de progrès. Beaucoup d’Occidentaux soutiennent au contraire que le lien qui attache étroitement, dans l’Islam, l’ordre juridique et l’ordre social à la doctrine religieuse du Coran, condamne les nations musulmanes, et en particulier la nation turque, à une éternelle immobilité. Quel était, là-dessus, l’avis des juristes musulmans ? J’en ai interrogé deux : Ebul-UIa Bey, professeur de droit civil et agraire à l’Université de Stamboul, ancien député au Parlement, et Chevket Effendi, professeur de droit familial. Ces deux maîtres appartiennent à l’ordre des hodjas ; le second remplit même les fonctions de premier iman à la Mosquée du Conquérant. Le sénateur Naïm Bey, professeur de philosophie à la Faculté des Lettres, Youssouf Behdjet, secrétaire général, et Raagheb Hulussi, bibliothécaire de l’Université, avaient bien voulu assister à nos conférences, qui eurent lieu dans l’un des salons de l’Université de Stamboul.

J’écris salon à dessein, car la maison où les étudiants de Constantinople reçoivent l’enseignement supérieur fut jadis la résidence somptueuse et charmante d’une princesse égyptienne. Deux escaliers majestueux conduisent à un immense vestibule, dont le plafond bleu étoile d’or est supporté par de frêles colonnes de bois peint. La bibliothèque, avec ses armoires de palissandre incrusté de nacre, les meubles massifs et ses inscriptions arabes, est une merveille. La princesse était savante et aimait la politique, au point de subventionner elle-même un journal. Il faut croire qu’elle avait aussi d’autres goûts, plus féminins : un jour, le directeur envoya son secrétaire quérir