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ans suffirent au Prophète et à ses premiers successeurs pour établir leur empire sur une vaste partie du monde, trente ans pour s’imposer à l’Egypte.

« Si les Turcs sont demeurés jusqu’aujourd’hui en dehors des grands courants européens, s’ils ne se sont point assimilé la civilisation occidentale, comme l’ont fait, par exemple, les Bulgares, c’est précisément parce que cette civilisation et la civilisation islamique découlent de principes tout différents. Un phénomène analogue a maintenu très longtemps, dans l’antiquité, une division profonde entre les Chaldéens et les Perses. Cependant entre l’Islam et l’Occident, il y a un point de contact : ce sont les sciences positives. Les sciences et leurs applications, les arts et les industries forment un domaine commun. Si les Turcs, au lieu d’importer du dehors, pêle-mêle et sans égard à la tradition nationale, des idées philosophiques, des habitudes morales et des institutions politiques, avaient commencé par emprunter à la civilisation européenne ses méthodes scientifiques et son outillage économique, le terrain serait aujourd’hui tout préparé pour une évolution salutaire, pour un heureux développement des énergies et des vertus de notre race. Au lieu qu’à présent il faudrait, avant tout, déblayer le terrain de toutes les constructions artificielles, de tous les ouvrages fragiles qui l’ont encombré et bouleversé... »

Le théologien s’arrêta. Lorsqu’on m’eut expliqué ses paroles, je demandai à poser la question sous une autre forme : « Estimez-vous, — dis-je, — qu’en restant à l’écart de la vie occidentale moderne et dans le cadre de leur religion et de la civilisation qu’elle implique, les Turcs soient susceptibles de progrès, au sens où nous entendons ce mot ?

— Beaucoup de savants musulmans pensent, comme moi-même, que notre religion, tout en restant ce qu’elle est, s’élèvera un jour jusqu’à former un ensemble aussi parfait que la plus parfaite civilisation. Ce progrès s’accomplira, non par des importations étrangères mais par une évolution intérieure. Et un temps viendra où la civilisation musulmane, en vertu de son propre effort, se retrouvera de plain-pied, en contact direct avec les autres. Certaines divergences subsisteront plus ou moins longtemps, mais finiront par disparaître.

« Notre droit familial, notre législation touchant la condition des femmes me semblent des questions secondaires, qui se