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mais détaillée, jusqu’à la minutie. Un paysan anatolien, devant qui vous aurez démonté et remonté deux ou trois fois un moteur d’automobile, est capable d’exécuter ensuite lui-même, très exactement, toute l’opération, et de devenir, au bout de quelques mois d’apprentissage, un excellent mécanicien. La mémoire visuelle, en particulier, est si développée chez les Turcs des classes populaires, que l’instruction par le cinéma peut donner ici des résultats merveilleux.

« Ce que je recommande surtout, c’est la décentralisation de l’enseignement, même primaire. Qu’on ne donne pas la même instruction aux enfants d’ouvriers, à Constantinople, et aux enfants de cultivateurs en Anatolie. Que l’enseignement devienne une fonction variée et vivante. Malheureusement, notre personnel enseignant est mal préparé à son métier : les maîtres d’école, mal payés, routiniers, sans contact avec les gens parmi lesquels ils vivent, sont incapables d’exercer sur eux une bonne influence. La direction même de notre enseignement s’est ressentie des variations de notre politique. Nous nous étions inspirés d’abord des méthodes françaises ; puis les Allemands nous ont imposé les leurs ; aujourd’hui nous revenons aux vôtres. Je sais qu’on nous reproche quelquefois notre manque de constance, notre « dispersion : » ce n’est pas un défaut du caractère turc, mais bien plutôt une conséquence des vicissitudes par lesquelles a passé la Turquie.

« Quant à l’enseignement secondaire, sous sa forme classique, il répond mal aux dispositions et aux besoins de notre peuple. Les lycées créés en Asie par l’Union et Progrès n’ont eu aucun succès. On les remplacerait avec avantage par des écoles techniques et professionnelles. Je ne parle pas de l’enseignement supérieur, dont le développement est beaucoup moins urgent : cela viendra plus tard, après que seront venues beaucoup d’autres choses... »

Je me gardai bien de dire à Chehabeddin que plusieurs des observations qu’il venait de formuler sur les qualités et les défauts de l’esprit turc et sur la nécessité d’y accommoder les méthodes d’enseignement, je les avais déjà entendues, il y a dix ans, à Smyrne, à Koniah, à Ouchak, dans la bouche d’humbles religieux français qui, sans être philosophes de métier, avaient pourtant cru nécessaire d’étudier la mentalité et de reconnaître les aptitudes des enfants que les populations musulmanes d’Asie-Mineure