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commencerait, bien entendu, par recourir aux spécialistes européens pour les réformes urgentes : car la vie d’un Etat ne souffre pas d’interruption. Entre temps, on aurait envoyé en Europe un millier de jeunes gens intelligents, instruits, et aptes à s’assimiler les meilleures méthodes économiques et administratives. Je suppose un déchet de 50 pour 100. Cinq cents hommes actifs, ardents et réfléchis tout ensemble, suffiraient, après un tel apprentissage, à réorganiser la Turquie.

« Réorganiser la Turquie, cela veut dire, à mon avis, assigner à chaque élément social sa place naturelle et son rôle utile. Voilà la base de toute réforme. Comment déterminer ces places et distribuer ces rôles ? La loi religieuse doit être prise en considération ; mais elle est trop immobile, trop immuable, pour qu’on puisse ne s’inspirer que d’elle. N’oubliez pas que le peuple turc n’a pas créé sa religion : il a pris celle qu’on lui a donnée ; il s’y est attaché, plus encore par esprit traditionnel que par esprit mystique. Encore un coup, il n’est pas spéculatif : il n’a jamais fait d’hérésie ou de schisme ; il n’a pas l’imagination assez créatrice, le jugement assez critique pour éprouver le besoin de changer de croyance. Depuis deux siècles, il n’y a pas eu un Turc renégat. Cela, pour situer exactement l’importance de l’élément religieux dans le caractère et dans la vie de la nation.

« On essaiera donc de répartir les efforts, de diviser la tâche. L’activité de notre peuple devra être dirigée dans le sens de ses vertus. Je suis convaincu que les Turcs peuvent faire de bons agriculteurs, de bons industriels et de bons commerçants. Les qualités strictement nationales peuvent être améliorées, diversifiées par des croisements qu’autorise notre religion. N’oubliez pas que le Coran permet aux musulmans, hommes et femmes, l’union avec les fidèles de toutes les religions bibliques, c’est-à-dire avec les chrétiens et les juifs. Une interprétation restrictive a enlevé aux femmes cette faculté, mais les hommes continuent d’en jouir et d’en user.

« Toute réforme, pour être mise en pratique, suppose une instruction populaire plus méthodique et plus largement répandue. Nous avons encore en Turquie au moins 80 pour 100 d’illettrés. Il nous faut donc tout un enseignement primaire approprié à l’intelligence de notre peuple. Le Turc ne sait naturellement ni abstraire ni généraliser. Sa mémoire est pénétrante,