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Telle est l’origine d’un conflit, que l’intervention des Puissances européennes a constamment entretenu et envenimé. Les Grecs, les Arméniens, les Juifs exploitaient à leur profit exclusif un pays dont nous entendions rester les seuls maitres. Notre pauvreté, notre ruine, qu’ils avaient causée, nous les faisaient haïr. De leur côté, ils trouvaient injuste l’ostracisme politique dont ils étaient frappés, et odieux les efforts que nous faisions pour conserver une autorité, un contrôle, sans lesquels nous n’aurions plus existé. Ces efforts ont pu se traduire par des actes inhumains : notre excuse est qu’ils étaient dictés par la nécessité, presque par le désespoir. Pour juger équitablement la conduite des populations turques envers les Arméniens et les Grecs, il faut savoir ce que ces populations ont eu à souffrir, comment leur naïveté, leur bonne foi ont été dupées par l’habileté dénuée de scrupules et par l’avidité cynique des chrétiens d’Orient. Quoi qu’il en soit, entre l’élément chrétien et l’élément musulman, condamnés à vivre côte à côte sur tout le territoire de l’Empire, la haine est profonde : les Puissances occidentales auraient pu, en s’inspirant des intérêts supérieurs de l’humanité, essayer de faire l’accord ; elles ont préféré maintenir la discorde, sous prétexte de ménager quelques intérêts politiques assez misérables. Réfléchissez bien ! c’est toute la question d’Orient.

« Maintenant, que faire ? La puissance militaire et politique nous reste : avant de nous l’enlever, il faudra qu’on nous détruise. Le problème qui se pose pour nous, — et, croyez-moi, aussi pour le monde civilisé, — est donc celui-ci : comment peut-on mettre les Turcs en mesure de ressaisir la puissance économique, sociale, internationale, qu’ils ont imprudemment abandonnée aux éléments allogènes de l’Empire, et, par suite, d’exercer l’autorité dans leur pays, non par des moyens arbitraires et violents, mais simplement en vertu de cette influence économique, sociale et internationale heureusement retrouvée ?

« J’ai proposé l’exemple du Japon, dont le peuple n’est pas sans analogie avec le nôtre ; comme le Turc, le Japonais est incapable de créer ; il n’a aucun goût pour la spéculation, l’action l’absorbe tout entier. Qu’a fait le Japon pour devenir un État civilisé et moderne ? Il s’est efforcé de créer une élite ; cette élite une fois créée, il lui a confié l’administration et l’organisation du pays. Je crois que nous pourrions en faire autant. On