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modèles, ont toujours été exploités par des intendants faméliques, malhonnêtes et incompétents. D’ailleurs, nous n’en disposons plus aujourd’hui ; car ils se trouvaient presque tous en Palestine, en Syrie et en Mésopotamie. Notre paysan, qui est un élément social excellent, pourrait devenir un bon facteur économique : mais, pour cela, il faudrait que la Turquie fût gouvernée et administrée.

« Pour l’industrie, pour le commerce, c’est exactement la même chose. Alors, voyez-vous, il est bien inutile que je vous écrase sous le détail des réformes qui ont été proposées, ou même entreprises dans chacun de ces domaines : toutes sont condamnées d’avance à l’insuccès. Rien d’efficace ne peut être tenté dans ce pays, tant qu’on ne lui aura pas donné, d’abord la paix, ensuite un gouvernement. Retenez seulement que le Turc n’est ni paresseux, ni rebelle au progrès, mais qu’il ne travaillera utilement et ne progressera que s’il se sent protégé, assisté, gouverné.

« Cela revient à dire que le relèvement économique de la Turquie est subordonné à sa réorganisation politique. On a fort déclamé contre Abdul-Hamid, et certes il y avait matière : ce souverain était cruel, fourbe, despote ; mais il gouvernait, et il gouvernait par la seule méthode qui fût alors applicable à la Turquie, par l’autorité. Après lui, nous avons eu la Révolution et les prétendues réformes. Des gens qui n’avaient ni expérience personnelle, ni tradition, mais qui croyaient avoir la science infuse, s’en vinrent déclarer au peuple : « Ne vivez plus comme vous avez vécu jusqu’ici ; tout ce que vous faisiez était mal fait. Nous allons vous réformer. » Le résultat ? Il existait en Turquie quelque chose, certains usages, certaines méthodes ; usages surannés, méthodes médiocres : mais tout cela était vivant, naturel, issu de notre nation et de notre race. Les révolutionnaires de 1908 ont démoli ce qui existait, et n’ont rien reconstruit. Ils ont créé à grand fracas dans les chefs-lieux de vilayet des écoles techniques, oubliant seulement que, faute d’écoles primaires, nos gens ne savaient pas lire.

« Nous n’eûmes donc pas de réforme, mais, en revanche, nous eûmes de la politique, et beaucoup. « Je m’étais couché Kurde et je me réveille Arabe, » dit un de nos proverbes. Nous nous sommes réveillés successivement nationalistes, turquistes, pantouraniens et panislamistes. Chaque formule aboutissant rapidement