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enfin une manière de scepticisme indulgent, qui m’a paru déguiser imparfaitement une volonté assez forte et le goût de l’action. Au cours d’une carrière administrative qui l’a conduit de Trébizonde à Constantinople, en passant par Salonique, Hussein Kiazim a étudié plus particulièrement le droit public et l’agriculture ; sur cette dernière matière, il a écrit des ouvrages appréciés.

Pour arriver jusqu’au ministre, je traverse une cour, monte un escalier, passe par une antichambre : cour, escalier, antichambre sont pareillement peuplés d’hommes en robe longue et en turban blanc, prêtres, imans, muftis : l’Evkaf est le centre administratif de la vie religieuse. Les fenêtres du cabinet où l’on m’introduit s’ouvrent sur l’un des plus merveilleux décors qui soient au monde : les cyprès de Stamboul, la nappe bleue de la mer entre la rive d’Asie et la pointe du Sérail, et, à la limite de l’horizon, les îles des Princes. Hussein Kiazim me fait asseoir, choisit une cigarette pour me l’offrir, et attend mes questions.

Celle que je lui pose d’abord est la plus générale et la plus directe : « Croyez-vous, monsieur le ministre, que la Turquie puisse se relever, vivre et se développer dans les cadres d’une organisation moderne, conforme aux principes et aux exigences de l’humanité civilisée ? »

— Votre question, — répond le ministre, — peut se décomposer en une série de sous-questions. Pour quelques-unes, je suis compétent, pour d’autres moins ; cependant, j’essaierai de répondre. Au point de vue matériel, l’Empire est riche, mais ses richesses sont inexploitées et, pour un certain temps, inexploitables. Le paysan turc travaille, à sa façon, qui est mauvaise. Il n’est point paresseux ; on ne peut même pas dire qu’il soit routinier par nature ; mais il est ignorant, dépourvu de moyens techniques et financiers, enfin accablé par l’impôt. « Si je produis davantage, on me prendra davantage, » voilà ce qu’il pense. Ajoutez qu’on ne lui construit pas de routes, qu’on ne lui facilite en aucune manière le transport et la vente de ses produits. Le paysan d’Anatolie cultive encore aujourd’hui comme aux temps primitifs : mêmes instruments, mêmes méthodes. Il ne connaît ni l’assolement, ni les engrais chimiques. La terre est ensemencée une année sur deux ; l’année suivante, elle se repose. Les grands domaines, qui auraient pu servir de