Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Sur la police !

— Oui, monsieur l’ambassadeur ; vous pouvez venir voir sur nos murs la trace des feux de salve... Beaucoup de gorodovoï et de gendarmes sont tombés. Puis, ç’a été une grande bagarre... Enfin, nous avons entendu le galop des cosaques ; il y en avait quatre régiments. Ils ont chargé les soldats d’infanterie et les ont ramenés à coups de lance jusqu’à la caserne. Maintenant, l’ordre est rétabli.

Je les remercie de m’avoir informé sans retard, ce qui me permettra de signaler l’incident, ce soir même, au président du Conseil.

Au ministère, la mise en scène n’est pas moins somptueuse et ostentatoire qu’elle ne l’était récemment pour le prince Kanin. Après avoir salué Mme Sturmer, j’attire à part le président du Conseil et je lui parle de ce qui vient de se passer devant l’usine Renault. Il essaie de me prouver que c’est un épisode sans importance ; il ajoute que le préfet de police lui en a déjà rendu compte par le téléphone et que toutes les mesures sont prises pour la protection de l’usine.

— Il n’en reste pas moins, dis-je, que la troupe a tiré sur la police. Et c’est cela qui est grave... très grave.

— Oui, c’est grave ; mais la répression sera sans pitié. Je le laisse à ses invités, qui affluent.

Pour passer à table, nous traversons une forêt de palmiers ; il y en a tant et leur feuillage est si luxuriant qu’on se croirait dans la jungle.

Je prends place entre Mme Narischkine, grande-maîtresse de la cour, et lady Georgina Buchanan. L’excellente et sympathique douairière qu’est Mme Narischkine me raconte sa vie à Tsarskoïé-Sélo. « Dame d’honneur à portrait de LL. MM. les Impératrices, » « dame de l’ordre de Sainte-Catherine, » « Haute-Excellence, » elle porte ses soixante-quatorze ans avec une bonne grâce indulgente et affable, qui aime à s’épancher en souvenirs. Ce soir, elle est mélancolique :

— Ma charge de grande-maîtresse ne m’occupe guère. De temps à autre, une audience privée, une cérémonie intime, et c’est tout. Les Majestés vivent de plus en plus retirées. Quand l’Empereur revient de la Stavka, il ne veut voir personne en dehors de ses heures de travail, et il s’enferme dans ses appartements particuliers. Quant à l’Impératrice, elle est