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la Roumanie, une belle masse de manœuvre qui nous permettrait, non seulement de barrer les passes des Carpathes, mais encore d’envahir la Bulgarie. L’Empereur est acquis à cette idée ; il reconnaît la nécessité d’obtenir promptement un gros succès dans les Balkans. Mais le général Alexéïew ne consent pas à dégarnir le front russe ; il craint que les Allemands n’en profitent pour improviser une offensive du côté de Riga.

— Cependant, c’est l’Empereur qui commande. Le général Alexéïew n’est que son conseiller technique, l’exécuteur de ses ordres !

— Oui, mais Sa Majesté se fait un grand scrupule d’imposer sa volonté au général Alexéïew.

J’interroge le général Biélaïew sur la disposition morale de l’Empereur. Il me répond, avec une gêne visible :

— Sa Majesté est triste, absorbée. Par moments, lorsqu’on lui parle, elle a l’air de ne pas vous entendre... Je n’ai pas eu bonne impression.

En me quittant, il me rappelle toutes les graves confidences que nous avons échangées depuis le début de la guerre et il me remercie de l’accueil qu’il a toujours trouvé auprès de moi. Il termine par ces mots :

— Nous aurons encore des jours difficiles, très difficiles...



Mardi, 24 octobre.

Contrairement aux prévisions de Trépow, la situation économique, loin de s’améliorer, s’aggrave. D’après un de mes informateurs, qui a parcouru hier les quartiers industriels de la Galernaïa et de la Narwskaïa, le peuple souffre et devient mauvais. On accuse ouvertement les ministres d’entretenir la disette pour provoquer des émeutes et avoir ainsi un prétexte à sévir contre les organisations socialistes. Dans les usines, on se passe de main en main des brochures qui incitent les ouvriers à se mettre en grève et à réclamer la paix. D’où viennent ces brochures ? Personne ne le sait. Les uns prétendent qu’elles sont distribuées par des agents allemands, les autres par l’Okhrana. Partout, on répète que « cela ne peut durer. » Les bolcheviki ou « extrémistes » s’agitent, organisent des conciliabules dans les casernes, annoncent que « le grand jour du prolétariat est proche. »