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panégyrique de l’Impératrice. Sous le flot des louanges et des obséquiosités, je reconstitue le travail artificieux par lequel Sturmer a capté la confiance de la souveraine. A cette pauvre névrosée, qui jusqu’ici se croyait en butte à la haine de tout son peuple, il a persuadé qu’elle en est au contraire adorée :

— Il n’y a pas de jour, me dit Mme Sturmer, où l’Impératrice ne reçoive des lettres, des télégrammes, qui lui sont adressés par des ouvriers, des paysans, des prêtres, des soldats, des blessés. Et tous ces humbles, qui sont la vraie voix du peuple russe, assurent Sa Majesté de leur ardent amour, de leur confiance infinie, et la supplient de sauver la Russie.

Elle ajoute naïvement :

— Lorsque mon mari était ministre de l’Intérieur, il en recevait chaque jour aussi, soit directement, soit par les gouverneurs de province. Et c’était pour lui une grande joie d’aller les porter à Sa Majesté l’Impératrice.

— Cette joie est réservée maintenant à M. Protopopow.

— Oui, mais mon mari a cependant encore de très nombreuses occasions de constater à quel point Sa Majesté l’Impératrice est vénérée et adorée dans le pays.

Feignant de m’apitoyer sur le lourd labeur qui incombe à son mari, je l’amène à me raconter l’emploi qu’il fait de son temps. Et je constate que toute son activité s’inspire de l’Impératrice, aboutit à l’Impératrice.

Pendant la soirée, j’interroge Trépow sur la crise économique qui sévit en Russie et qui énerve l’esprit public.

— Le problème de l’alimentation, me dit-il, est devenu en effet très préoccupant ; mais les partis d’opposition en abusent pour attaquer le Gouvernement. Voici, en toute sincérité, quelle est la situation. D’abord, la crise est loin d’être générale ; elle n’atteint des proportions graves que dans les villes et dans quelques agglomérations rurales. Il est exact, toutefois, que, dans certaines villes, à Moscou, par exemple, le public se montre nerveux. D’autre part, les denrées ne manquent pas, sauf quelques produits qui nous venaient de l’étranger. Mais les moyens de transport sont insuffisants et la méthode de distribution est défectueuse. Des mesures énergiques vont être ordonnées. Je vous assure que, d’ici peu, la situation s’améliorera ; j’espère même que, dans un mois au plus tard, le malaise actuel aura disparu.