Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le nouveau ministre de l’Intérieur est un des vice-présidents de la Douma, Protopopow. Jusqu’à ce jour, l’Empereur n’a que très rarement choisi ses ministres dans la représentation nationale. Le choix de Protopopow ne présente cependant aucune évolution vers le parlementarisme. Loin de là.

Par ses opinions antérieures, Protopopow était classé comme un « octobriste, » c’est-à-dire un libéral très modéré. Au mois de juin dernier, il a fait partie de la délégation parlementaire qui s’est rendue en Occident et, tant à Londres qu’à Paris, il s’est montré un fervent adepte de la guerre à outrance. Mais, au retour, pendant un arrêt à Stockholm, il s’est prêté à une étrange conversation avec un agent allemand, Paul Warbourg, et, quoique l’affaire soit restée assez obscure, il a indubitablement parlé en faveur de la paix.

Rentré à Pétrograd, il a lié partie avec Sturmer et Raspoutine, qui l’ont aussitôt introduit auprès de l’Impératrice. Sa faveur a été prompte. Il a été tout de suite initié aux conciliabules secrets de Tsarskoïé-Sélo ; il y avait droit pour sa maîtrise dans les sciences occultes, principalement dans la plus haute et la plus ténébreuse de toutes : la nécromancie. Je sais en outre, avec certitude, qu’il a eu jadis une maladie infectieuse, qu’il en a conservé des troubles nerveux et que, récemment, on a observé chez lui des prodromes de la paralysie générale. La politique intérieure de l’Empire est donc en de bonnes mains !



Mercredi, 4 octobre.

Le grand-duc Paul, dont c’est aujourd’hui la fête, m’a invité à dîner ce soir avec le grand-duc Cyrille, et sa femme la grande-duchesse Victoria, le grand-duc Boris, la grande-duchesse Marie-Pavlowna seconde, Mme Narischkine, la comtesse Kreutz, Dimitry Benckendorlf, Savinsky, etc.

Il y a comme un voile de mélancolie sur tous les visages. Il faudrait être aveugle, en effet, pour ne pas voir les signes funestes qui s’accumulent à l’horizon.

La grande-duchesse Victoria me parle avec angoisse de sa sœur, la reine de Roumanie. Je n’ose la rassurer. Car c’est à grand peine que les Roumains résistent encore sur les Carpathes et, pour peu qu’il faiblissent, ce sera le désastre total.

— De grâce, me dit-elle, insistez pour qu’on envoie immédiatement