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ne vaudrait-il pas mieux, se dit-on, couper court à la crise par une substitution de souverain ?... Or, la famille impériale de Russie ne manque pas de candidats. Et, puisqu’un gouvernement autocratique ne saurait décemment se commettre dans une besogne aussi malpropre que la déchéance d’un Roi, le Gouvernement de la République française n’est-il pas tout désigné pour cette répugnante opération ?


Le prince Kotohito Kanin, cousin du Mikado, arrivera demain à Pétrograd ; il vient rendre à l’empereur Nicolas la visite que le grand-duc Georges Michaïlowitch a faite récemment à l’empereur Yoshihito.

Par ordre de la police, on dispose, dans les principales rues, des faisceaux de drapeaux russes et japonais.

Ces préparatifs inspirent aux moujiks de singulières réflexions. Mon attaché naval, le commandant Gallaud, me raconte en effet que, tout à l’heure, sur le Champ-de-Mars, son isvochtchik s’est retourné vers lui et, montrant les recrues qui faisaient l’exercice, il lui a demandé, d’un air narquois :

— Pourquoi leur apprend-on l’exercice ?

— Mais pour se battre contre les Allemands.

— A quoi bon ?... Moi qui te parle, j’ai fait en 1905 la campagne de Mandchourie ; j’ai même été blessé à Moukden. Eh bien ! tu vois qu’aujourd’hui on met des drapeaux à toutes les maisons et on dresse des arcs de triomphe sur la Perspective Newsky pour fêter ce prince japonais qui va venir... Dans quelques années, ce sera la même chose avec les Allemands. On les recevra aussi sous des arcs de triomphe... Alors, pourquoi faire tuer des milliers et des milliers d’hommes, puisque cela finira sûrement comme pour le Japon ?



Mercredi, 27 septembre.

Sturmer vient de passer trois jours à Mohilew, auprès de l’Empereur.

Il a, me dit-on, très habilement plaide sa cause. De l’affaire Manouilow, il s’est dégagé tant bien que mal, affirmant n’avoir péché que par indulgence et ingénuité. Il a fait valoir enfin que la réunion de la Douma est proche, que les passions révolutionnaires fermentent et qu’il importe plus que jamais de ne