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de variétés et de dames d’honneur, et de suivantes magnifiques que, parmi elles, l’on ne distingue plus la souveraine.

Vêtues de rouge ou de safran, roses chair, carminées, grenat, et jaunes et violettes comme la nuit, et couleur de ciel au crépuscule et mauves et bleues, à peine bleues comme l’aube, et d’un blanc de lune, et toutes, doubles ou simples, de fleurs petites ou larges, toutes, de chair grasse et si ferme, aux luisants de cire, aux couleurs de fard, droites de sève, juteuses de suc, lourdes de parfums, dans votre robuste élégance, dans votre pimpante grâce, que vous êtes plaisantes, fraîches à l’œil, et merveilleuses au nez et que, dévotement, jacinthes, l’on vous salue !

Il était une fois une petite fille à laquelle une vieille amie donna un oignon de jacinthe. « Petite fille, — lui dit-elle, en faisant sauter dans ses mains ridées la boule aux nombreuses soies qui ressemblent aux soies des ballons, — petite fille, il y a là-dedans un miracle ; oui, mon enfant : de la vie, de la joie, de la couleur épanouie, du parfum clos comme dans un flacon jaloux. Un beau jour tout cela s’exhalera, s’épanouira hors de cette boite ronde ; c’est un joli cadeau, un présent de conte de fée : soigne-le bien. »

Et la petite fille adora l’oignon de jacinthe ; elle fit sa prière en le contemplant ; elle le berça comme sa poupée ; elle le mit la nuit sous son oreiller et lui donna de grands baisers au réveil, elle le mena même à la promenade. Mais, hélas ! sans eau, sans terre et sans repos, l’oignon se ratatina, mécontent, sans même donner à une petite langue verte, qu’il tire au nez de la vie, pour le principe, jusqu’au fond des caves, le droit de se montrer. Et la petite fille déçue le lança, un jour de visite, à la barbe de la vieille dame vexée.

Hélas ! n’agissons-nous pas ainsi, souvent, comme l’enfant vis-à-vis de son oignon de jacinthe, avec nos plus chers désirs, et nos espoirs, et nos rêves ?


Gérard D’HOUVILLE