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printemps prisonnier. Attendrissez-vous devant l’ongle vert et luisant de la première pousse, jaillie hors de terre comme si elle l’avait grattée d’un doigt impatient. Voyez monter les feuilles lisses, et à leur abri, comme un bel enfant bien gardé, la grappe close des fleurs futures. Quelquefois, en une nuit, tel un gosse après une maladie, elles grandissent, grandissent étonnamment, les sournoises, comme si elles avaient voulu faire une bonne farce. N’étaient-elles pas toutes petites encore, hier au soir ? Et maintenant les voilà grandes ; de vraies dames ; parées, embaumées ; toutes prêtes pour le bal et l’amour. Car, bien vite, les fleurs se sont écartées de la tige mère, se sont dépliées, défroissées, creusées, élargissant leur profond périanthe et, remplissant la pièce hivernale, leur divine odeur murmure à l’oreille du pauvre citadin qu’il y a des champs, des bois, des jardins, des prairies, toute la nature enfin, et ses prodiges, et ses puissances, et l’air libre, et des grands ciels, couleur de cette fleur azurée, et des vents vagabonds, ô pauvres gens captifs de vos mornes travaux dans des maisons fermées, des brises pures et tout imprégnées de parfums sans nombre et changeants.

Chère jacinthe des bois, à la fois violette et bleuâtre comme l’ombre d’un trop beau jour, ô vous simple, sauvage, et du genre « endymion, » je vous aime aussi depuis que je vous cueillais dans mon enfance, saccageant, sous l’œil indulgent d’une grand’mère, pourtant amie dus plantes, les clairières du bois de Boulogne, où vous vous épanouissiez pour faire plaisir aux gens de Paris.

Que ce souvenir est honteux et que je m’apparais telle une jeune barbare ! Maintenant, si je ne cueille presque jamais les fleurs, c’est que je les aime davantage. Je respecte leur vie charmante. Je ne les sépare pas de la terre où elles sont nées. Je me contente d’accueillir celles que d’autres ont coupées. Et le destin des fleurs me semble émouvant et sacré. Tout donner, grâce, beauté, fraîcheur, odeur : embellir, parer, parfumer les êtres et l’univers ; puis mourir, après avoir transmis leur âme pour que nous ne soyons pas trop malheureux ! O chères fleurs ! O muettes amies ! Que deviendraient sans vous les humains penauds, sur la terre dévastée ?

Et que vous êtes belle, vous, jacinthe d’Orient, qui venez d’Asie et que courtise jalousement la Hollande amie des arômes, vous qui êtes arrivée, reine au long cortège bariolé, avec tant