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Curel, les ours et les lions des deux sexes et de tous les âges. Ils s’agitent, ils rugissent, ils hurlent, ils crient et le vacarme devient terrible. — Le petit chat est mort, gémit une jeune lionne dans un silence. — Je l’ai mangé, crie le lion... ; mais à présent je veux La chair humaine... » Et la grande Ourse arrosant de larmes sa noire fourrure, et retenant à grand’peine par une patte un petit ourson épouvante devant sa maturité ténébreuse, la grande Ourse pleure et se lamente et hurle et grogne : « Je ne veux pas vieillir... je ne veux pas vieillir encore » .

« Je crois que j’ai besoin de repos ; n’est-ce pas, chère amie ? »


L’OIGNON DE JACINTHE

Février, saison des jacinthes ! Autant que moi les aimez-vous ? Autant que Mme de Montbazon qui, vous le savez, ne voyant pas venir l’homme qu’elle aimait, mourut dans le parfum d’une jacinthe ? Du moins Gaspard de la Nuit nous l’affirme et je veux croire que ce rôle de consolatrice fut tenu par une jacinthe bleue, une de ces jacinthes d’un bleu si pâle qu’elles sont déjà toutes prêtes à mêler une âme à leur parfum.

Dès la fin de décembre, les oignons sont étiquetés dans des paniers à la porte des fleuristes, à l’éventaire des marchés : jacinthe rouge, jacinthe blanche, violette ou rosée... Les petites étiquettes annonciatrices des magies sont Là, toutes sèches et toutes pratiques, parmi les gros oignons ternes et qui se tiennent cois, sournoisement. Ah ! si l’on ne comptait que sur eux pour savoir quelle couleur ils couvent sous leurs mystérieuses pelures, on ne saurait pas grand’chose. Violacés et brunâtres avec quelques petits vers tortillés au derrière, clos, secrets, laids, rébarbatifs, qu’ils sont tentants, les oignons de jacinthe, qui dans l’hiver et le froid, sous le vent qui glace ou la pluie qui transit, sont des enchanteurs renfrognés, momentanément résignés à être laids, tristes et sombres, parce qu’ils savent posséder le pouvoir qui transforme, et le secret de se faire aimer.

Ne les plantez pas dans des cailloux remplissant avec l’eau une potiche. Certes, il feront tout leur devoir d’oignons bien élevés, ils donneront naissance <à des petites feuilles vernies, et à une hampe naine aux fleurs serrées qui se flétriront sans avoir grandi. Donnez-leur plutôt une bonne terre ; et, chaque jour, dans la chambre triste des villes, contemplez les progrès de ce