Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ours de je ne sais plus quel cirque et aux autres éléphants du Nouveau Cirque, encore. Tout cela fait guignol dans ma cervelle provinciale. Ajoutez-y, comme dans les recettes de cuisine, quelques expositions, les récits de deux triomphes féminins aux Académies et vous allez réunir à peu près les éléments d’un rêve insensé. Pourtant j’avais raffolé de « Faisons un rêve » ... Mais ce fut un cauchemar que je fis.

J’habite une aquarelle de Waroquier dans une de ces maisons à flanc de montagne dont il excelle à rendre la solidité pierreuse, au bord d’un lac dont il a peint, d’un pinceau chinois, tous les reflets ; dans ma chambre il y a la table et le bouquet d’anémones d’une des charmantes natures mortes peintes par Henri Manguin et qui ont succédé chez Druet à l’exposition Waroquier.

Je m’arrache à la magie de ces couleurs enchanteresses ; je sors ; je m’’en vais ; et, une fois dans la rue, je me mets à suivre un monsieur respectable, tant je m’étonne de le voir coiffé d’un chapeau féminin orné d’un noir corbeau. Est-ce le carnaval ? Le monsieur respectable me conduit jusque dans la cour de l’Institut, au pied de l’illustre Coupole : trente-neuf dames en défendent l’accès par les pas et les entrelacs d’un très étourdissant ballet, qui du vert d’eau au vert billard réunit toutes les nuances vertes. Le monsieur respectable s’assied tristement sur une borne et le corbeau s’envole en criant : « Jamais plus !... » comme dans un poème célèbre.

Ce corbeau m’enlève et me dépose au Louvre. Là devant l’Enterrement de Phocion, l’inoubliable Chevalier fait danser l’héroïne d’Aimer en lui chantant le fox-trot qu’auraient bien pu successivement lui fredonner aussi le mari et l’autre :


Si j’avais su, évidemment
J’aurais agi tout autrement...


Vous connaissez l’air ; cet air me poursuit et continue jusque dans la salle de tapisseries où, sous la douceur des bougies, des comédiens étincelants jouent Amphitryon devant un parterre d’éléphants ; ceux-ci manifestent leur plaisir par de longs barrissements ; et leurs oreilles palpitent comme de mous éventails. Aux entr’actes, ils s’entretiennent, d’une trompe anxieuse, de ce qui se passe dans l’Inde. Tous leurs babils gris, barrés de quelques grands cordons, font un effet fort distingué. Mais bientôt entrent pêle-mêle, en scène, avec les grands cerfs chers à