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exécuté d’immenses travaux d’utilité publique, changé la face du sol, mais elle a pénétré profondément les mœurs et les usages des populations africaines.

Cette pénétration fut si intime que l’Islam ne s’installa en Afrique qu’au prix des plus grands efforts. Et notons tout de suite que l’Islam n’était alors qu’une religion et non une civilisation. Les conquérants arabes (lesquels étaient en très petit nombre eu égard à l’immensité du pays conquis, — 40 000 au plus, nous dit-on), ces conquérants n’apportaient avec eux qu’une doctrine religieuse qui, par la suite, a pu agir profondément sur les mœurs et les caractères, mais qui n’a rien changé au train matériel de la vie. Hommes de la tente, ils n’avaient rien à offrir, mais tout à recevoir et à apprendre des habitants des villes africaines, lesquels avaient poussé au plus haut degré la science et l’art de l’organisation urbaine.

Néanmoins, si peu qu’ils aient modifié les habitudes de la vie locale, ils soulevèrent dans le pays les plus vives résistances. Ibn-Khaldoun lui-même, l’historien arabe, avoue que les Berbères, convertis à l’Islam, apostasièrent jusqu’à douze fois, tant dans l’Afrique proprement dite qu’au Maghreb. Évidemment, cela ne dénote point une foi chrétienne très fervente, fervente jusqu’au martyre, mais cela n’annonce pas davantage des Musulmans bien convaincus. Rappelons-nous d’ailleurs que l’élite de la population avait dû quitter l’Afrique, ou avait été décimée. La religion nouvelle ne s’établit qu’à coup de massacres et de déportations. Mais le christianisme africain avait la vie dure. Sous le pontificat de Grégoire VII, à la fin du XIe siècle, il existait encore à Carthage un primat catholique, et, jusqu’au XIVe, des communautés chrétiennes se perpétuèrent en Barbarie.

Les confins du Sahara, l’Italie, la Gaule, l’Espagne, la Sicile et la Sardaigne se peuplèrent ainsi de fugitifs chrétiens. Un préjugé inextirpable veut que, dans certaines régions de notre Provence, il y ait eu des infiltrations de « Sarrasins » musulmans. Ces « Sarrasins » étaient des chrétiens, des chrétiens d’Afrique. Chrétiens encore les Africains, qui, chassés par les Vandales et les Arabes, s’établirent en Espagne au Ve et au VIIe siècle. Plus tard, lorsque les Maures envahirent l’Andalousie, leurs armées comprenaient des contingents de troupes chrétiennes, — et ces Maures (qui n’étaient point des Arabes)