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qu’on est en droit d’affirmer, c’est que tout ce qui pouvait être latinisé, en Afrique, à l’époque romaine, l’a été.

Quand on me demanda avec ironie si je reconnais un Latin dans ce conducteur de chameaux, cet homme du Sud au visage bronzé, qui traverse, d’un air défiant et craintif, les rues de Tunis ou d’Alger, je réponds qu’on se moque de moi. Je n’ai jamais pu soutenir une pareille sottise. Ce que je soutiens, en revanche, contre mes contradicteurs, c’est qu’il est extravagant de ne voir l’Africain, le vrai type représentatif du pays, qu’au plus bas degré de l’échelle humaine. Il est vrai que cela flatte, en une foule d’esprits arriérés, la vieille manie romantique de la couleur locale. Pour les auteurs d’ « impressions » de voyages, comme pour les touring-clubs, il n’y a d’africain que ce qui dépayse le bourgeois en déplacement, ce que mes amis d’Alger appellent plaisamment : la triade du palmier, du chameau et de la moukère, — l’Ouled-Naÿl aux joues tatouées et aux lèvres bestiales, ou le gourbi sordide, la masure saharienne, faite de paille et de boue cuite au soleil. Les contemporains d’Apulée et de saint Augustin n’auraient eu que du mépris pour ces Roumis dépravés, à la cervelle évidemment tourneboulée, qui pressent contre leurs cœurs, avec des mines extatiques, les fétiches et les grisgris du nègre. Ils auraient dit à ces malades : « Etrangers, êtes-vous ivres ? Les vrais Africains, c’est nous, — nous qui administrons ce pays, qui le rendons habitable et nourricier pour tous, qui empêchons les nomades eux-mêmes de mourir de faim, nous qui, par notre police, obtenons que vous ne soyez pas assassinés en route, nous qui pensons, qui prévoyons, qui bâtissons, qui créons de la beauté pour la joie de vos yeux et l’aliment de votre esprit. Le reste n’est qu’une tourbe de Barbares, — Afri barbari. Détournez-en vos yeux et regardez-nous : la véritable Afrique, c’est nous, — nous les Latins, nous les civilisés ! ... »

Or, cette Afrique latine, — ainsi définie, — a, pendant sept siècles, imposé sa civilisation à tout le pays, — et même plus longtemps, si l’on tient compte de ce fait que Carthage elle-même et les royaumes numides étaient déjà hellénisés avant la conquête romaine. Non seulement elle a élevé partout des monuments de magnificence, construit des villes et des forteresses,