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En face de ces ruines, ils pourraient rappeler le type le plus complet peut-être d’Africain latinisé, dont l’histoire nous ait gardé le souvenir : Apulée de Madaure. Il l’est d’abord par l’imagination et la sensibilité, par tout ce qu’il y a d’original dans son style. Mais il l’est sûrement aussi par sa naissance.

Sa ville avait été primitivement un « oppidum » du roi Syphax, une forteresse numide. Ensuite elle échut à Massinissa, autre souverain indigène. Puis, à l’époque des Empereurs, elle fut, en quelque sorte, fondée à nouveau par une colonie de vétérans qui vint s’y établir : Mais rien ne nous prouve que ces vétérans n’étaient pas originaires d’Afrique. En tout cas, il semble bien évident, d’après les phrases d’Apulée lui-même, dans son Apologie, que, s’il était le descendant d’un de ces vétérans, ce vétéran était d’origine indigène. Les ennemis d’Apulée le traitaient de « demi-Gétule » et de « demi-Numide. » S’il ne l’avait pas été effectivement, cet habile rhéteur n’aurait point manqué de répondre : « Qu’importe le lieu de ma naissance ! J’ai pu naître sur les confins de la Numidie et de la Gétulie : je n’en ai pas moins du sang romain dans les veines ! ... » — Au lieu de cela, il s’évertue à démontrer que le lieu de sa naissance n’influe nullement sur le génie et le caractère d’un homme. On peut être né à Athènes et n’être qu’un Béotien. On peut être né à Thèbes et avoir infiniment d’esprit. C’est ainsi que lui, Apulée, enfant de Madaure, — semi-Gétule et semi-Numide, — n’en est pas moins le maître de l’éloquence et des élégances latines.

Lorsque, de son vivant, ses compatriotes lui élevaient une statue sur le forum, avec cette inscription : Philosopho platonico, ornamento suo, Madaurenses : « Au Philosophe platonicien, à leur chère gloire, les habitants de Madaure, » il est bien certain que c’étaient des Africains latinisés, des demi-Gétules et des demi-Numides, eux aussi, qui prétendaient glorifier un de leurs concitoyens, — et non, comme de nos jours, les officiers du Cercle militaire et la population civile de la commune mixte, qui se cotisent pour élever un monument à quelque Français de France ou d’Afrique, à un étranger, immigré comme eux.


Faut-il rappeler que cette latinisation de l’Afrique fut très inégale, suivant les régions ? Il est infiniment probable que la