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Ainsi donc, très peu de Romains proprement dits, ou d’Italiens, dans l’Afrique ancienne. « L’Afrique romaine, » comme « l’Afrique arabe » est une expression conventionnelle, et, dès qu’on la presse, à peu près vide de sens. L’Afrique, au temps des guerres puniques, est déjà, un pays latin. Elle a été latinisée, c’est-à-dire civilisée, bien avant l’arrivée des Romains dans le pays. Ce que nous appelons « civilisation latine, » c’est la civilisation grecque adaptée aux régions de la Méditerranée occidentale. Que Rome y ait ajouté un apport considérable, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais il n’en est pas moins vrai que l’Afrique était latinisée avant la domination romaine. Et voilà encore une différence considérable entre la conquête romaine et la conquête française. Les Romains, arrivant en Afrique, se sont trouvés en présence’ d’une civilisation au moins égale, sinon supérieure, à la leur, tandis que, pour nous Français, ce fut le contraire.

Dès les temps puniques, on bâtissait en Numidie des édifices de style hellénisant. Plus tard, sous le roi indigène Juba II, Cherchell, capitale de la Maurétanie, devint un véritable foyer de civilisation grecque. Ce prince, très érudit et polygraphe très fécond, écrivait en grec. D’un bout à l’autre du pays, le grec était parlé et contrebalançait le punique. Et il en fut ainsi jusqu’au IIIe siècle environ, jusqu’à l’époque, où, avec Septime Sévère et ses descendants, ce furent des empereurs africains qui régnèrent à Rome. Alors, la victoire de la langue latine est définitive. Le latin élimine à peu près complètement le grec, et l’on peut dire qu’à partir de ce moment, l’Afrique tout entière est latinisée.

Elle l’a été, parce que les Africains sont venus d’eux-mêmes à une civilisation qu’ils jugeaient préférable à leur barbarie. Ils ont apprécié à leur valeur la bonne police et la bonne administration romaines. Ils ont mieux aimé les maisons bâties à la mode d’Athènes ou d’Alexandrie, la statuaire, la céramique, les bronzes de fabrication hellénistique que leurs magots puniques ou leurs lourdes bâtisses égyplo-lybiques. Ils ont trouvé que le grec et le latin exprimaient mieux leur pensée que leurs idiomes locaux, — que c’étaient des outils intellectuels infiniment plus délicats et perfectionnés. Dans leur admiration pour ces langues maitresses, — langues vraiment dignes de l’Empire, — ils en sont venus à abandonner jusqu’à leurs noms patronymiques,