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Avant de combattre les Numides, ils les eurent pour amis et compagnons d’armes. En outre, il n’existait, entre eux et les indigènes, aucune haine religieuse particulière. Les cultes de Rome finirent par fusionner avec les vieux cultes lybiques, numides et carthaginois.

Et ainsi voilà déjà des différences capitales entre la conquête romaine et la conquête française. Si les Romains ne furent pas toujours désirés par les indigènes, ils n’excitèrent jamais chez eux les haines fanatiques qui, au début, accueillirent les Français. Quand nous rappelons le souvenir des Romains aux Africains d’aujourd’hui, ce n’est pas celui de conquérants brutaux et sanguinaires que nous évoquons, mais d’amis et d’alliés appelés par leurs pères eux-mêmes.

Autre différence capitale : il n’y a jamais eu de colonisation romaine en Afrique, rien, en tout cas, qui ressemble à la colonisation française : pas de créations de villages ou de villes, pas de transplantations de familles, pas d’appel à l’immigration. Avec quelques fonctionnaires, — qui n’étaient pas tous, tant s’en faut, des Romains ou des Italiens d’origine, — Rome exerçait le pouvoir civil et militaire. Elle était l’administration et « l’empire, » rien de plus : c’était le Gouvernement, « le beylick, » comme à l’époque arabe et turque, c’est-à-dire une autorité venue du dehors et superposée à tout un système d’autorités indigènes... Les quelques colonies militaires qui, sous l’Empire, furent fondées dans des villes déjà anciennes, se réduisent à un très petit nombre, — et rien ne prouve que les vétérans qui les composaient n’étaient pas des soldats africains. L’armée elle-même, très peu nombreuse aussi, — environ 13 000 hommes pour défendre l’Algérie et la Tunisie, — se recruta sur place à partir du IIe siècle. L’Afrique était défendue uniquement par des Africains. Au début, la IIIe légion, chargée de cette défense du pays et qui avait son quartier général à Théveste, se composait d’étrangers venus de toutes les régions de l’Empire et non spécialement d’Italiens. Il est même prouvé qu’à cette époque il y avait beaucoup de Gaulois dans la IIIe légion auguste. Si nous pouvions fonder nos droits à l’héritage de Rome sur un autre fait que la possession matérielle de l’empire, il nous serait donc loisible d’invoquer la présence de nos ancêtres aux lieux mêmes où nos zouaves ont aujourd’hui leurs casernes.