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parce qu’il était son frère dans le Christ, mais parce que tous deux, — quelles que fussent les étendues de pays qui les séparaient, quelle que fût la diversité de leurs races, l’un Numide, l’autre Maure, — tous deux en somme, étaient des enfants de l’Africa mater. Bien des siècles auparavant, cette conscience de la solidarité africaine était déjà très nette chez une Carthaginoise comme Sophonisbe. J’ai rappelé maintes fois, parce qu’il est extrêmement significatif et parce que je voudrais qu’il fût gravé au fond du cœur de tous les Africains d’aujourd’hui, le curieux passage de Tite-Live, où cette princesse, née à Carthage, mais fille d’étrangers, descendant des colons de Tyr, nous est représentée aux genoux du jeune Massinissa, un indigène de pure race numide. Sans arme que sa beauté, elle ne voit guère d’autre moyen de fléchir son vainqueur que de lui rappeler leur patrie commune : « N’es-tu point comme moi, lui dit-elle, un enfant de l’Afrique ; In cadem mecum Africa geniti ? « Alors, n’est-il pas également naturel et logique que ces deux Africains unissent leur haine contre l’ennemi de l’Afrique, qui, cette fois, se trouve être le Romain ? ...

Cette solidarité, on le voit, ne date pas d’hier. C’est un sentiment très ancien et très spontané sur lequel nous pouvons hardiment nous appuyer. Sous la désignation générique et, la plupart du temps, conventionnelle de « Romains, » les indigènes africains de toute race et les immigrés de toute provenance, pouvaient, après de longues années de cohabitation, se considérer comme les fils d’une même pairie. Nous Français, les derniers venus en ce pays, nous pouvons aussi, après bientôt un siècle de séjour, parler comme Sophonisbe à Massinissa. Les arrière-petits-fils des soldats et fils colons de 1830 ont le droit de se considérer comme les enfants de cette terre, où ils sont nés, — droit que leurs pères ont payé, d’ailleurs, d’un assez beau prix.


Voilà donc ce que j’ai voulu dire, quand j’ai parlé d’une « nation africaine. » Les fatalités de la race, du sol et du climat ne peuvent se modifier que très lentement. Pour l’instant, je ne vois d’autre lien possible, entre tous les habitants de ce grand pays qu’est l’Afrique du Nord, que la communauté de la terre et du climat, à laquelle j’ajoute la communauté d’un certain