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rien au monde s’en aller à ce moment-là quand on se sent cloué sur son fauteuil. Pour le dire plus savamment, l’idée doit, je pense, se reconnaître à un certain signe, à un certain sentiment de nécessité. » Savamment ou familièrement, cela n’est pas mal dit. Eh bien ! voyez-vous, le malheur, c’est que, dans la musique actuelle, il y a trop peu de ces moments où pour rien au monde on ne voudrait s’en aller.

L’interprétation de l’ouvrage de M. Hüe fut louable. M. Priant se montra chaleureux, M. Vieuille cordial, et touchante Mlle Davelli. Il est seulement fâcheux que MM. les directeurs de l’Opéra-Comique aient laissé tout le personnel, (chanoines, chantres et chantrillons), de la cathédrale, et de la cathédrale de Tolède ! prononcer le latin comme on ne le prononça jamais dans les églises d’Espagne et comme enfin il n’est plus permis désormais, — grâces en soient rendues à S. E. le cardinal-archevêque ! — de le prononcer dans les églises de Paris.

« Je m’asseyais devant ma table de travail vers l’heure de minuit. Une bouteille d’excellent vin de Tokay était à ma droite, mon écritoire à ma gauche, une tabatière pleine de tabac de Séville devant moi. En ce temps là une jeune et belle personne de seize ans, que j’aurais voulu n’aimer que comme un père, habitait avec sa mère dans ma maison. Elle entrait dans ma chambre pour les petits services de l’intérieur, chaque fois que je sonnais pour demander quelque chose. J’abusais un peu de la sonnette, surtout quand je sentais ma verve tarir ou se refroidir. Cette charmante personne m’apportait alors tantôt un biscuit, tantôt une tasse de café, tantôt seulement son beau visage toujours gai, toujours souriant, fait exprès pour rasséréner l’esprit fatigué et pour ranimer l’inspiration poétique. Je m’assujettis ainsi à travailler douze heures de suite, à peine interrompues par quelques distractions, pendant deux grands mois. Pendant tout ce temps ma belle jeune fille restait avec sa mère dans la chambre voisine, occupée soit à la lecture, soit à la broderie, soit au travail de l’aiguille, afin d’être toujours prête à venir au premier coup de sonnette. Craignant de me déranger de mon travail, elle s’asseyait quelquefois immobile, sans ouvrir la bouche, sans cligner les paupières, me regardant fixement écrire, respirant doucement, souriant gracieusement et quelquefois paraissant prête à fondre en larmes sur l’excès du travail dans lequel j’étais absorbé. Je finis par sonner moins souvent et par me passer de ses services pour ne pas me distraire... »

C’est dans ces conditions, assez convenables au sujet comme au