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jours du suaire déchiré » nous ont fait concevoir. » Comment rétablir le commandement de notre race sur le Rhin ? « C’est la grande question qui désormais se pose à la conscience française. Tant qu’elle n’a pas été réglée officiellement, entre gouvernements alliés, dans ses données fondamentale, M. Barrès s’est efforcé d’en préparer une solution conforme à l’équité, aux réalités historiques, à l’intérêt de la France et de la civilisation générale. Il recueille et commente avec une pieuse insistance tous les souvenirs que la France a laissés sur la rive gauche du Rhin, les sympathies, parfois à peine refroidies, qu’elle y a fait naitre au cours du dernier siècle, les regrets ardents que sa retraite y a provoqués, les espoirs, encore balbutiants, que sa réinstallation y a fait surgir. Dans la Sarre, à Trêves, dans le Luxembourg, il s’enquiert de tous les faits qui sont de nature à favoriser « les amitiés françaises, » « l’indépendance du Palatinat et son développement intellectuel arrêté par le prussianisme. » Et à dénombrer les principaux vestiges, qui n’aspirent qu’à refleurir, de l’influence française dans cette Rhénanie qui a déjà connu et aimé la gloire de nos armes, il s’exalte, il entrevoit pour son apostolat une noble mission nouvelle : « A chaque fois, s’écrie-t-il, que j’ouvre les admirables albums du commandant Esperandieu, et que je vois ces dieux et ces héros gallo-romains remontés à la vie, ressuscites, sortis de terre, quelle ardente impatience j’éprouve de me mettre à notre nouvelle tâche qui est de faire jaillir derechef les antiques sources et d’offrir leur divin rafraîchissement aux provinces rhénanes ! [1] « 

Les négociateurs du traité de Versailles, s’ils ont connu ces prédications enthousiastes et persuasives, n’ont pas cru devoir en tenir compte ; ils ont résisté à « l’appel du Rhin. » Ils n’ont pas voulu donner à la France ses « frontières naturelles ; » ils lui ont même refusé ses frontières de 1814 : ils se sont contentés de lui restituer celles de 1870. La Rhénanie n’a pas été détachée du Reich, même sous les simples espèces d’un État indépendant et neutre, et le contrôle que nous sommes autorisés à exercer sur elle reste limité, peu durable et précaire. Que, dans son for intime, M. Maurice Barrès ait jugé suffisantes ces concessions finales faites aux légitimes exigences françaises, c’est ce que se refuserait à croire le plus distrait de ses

  1. L’Appel du Rhin : la France dans les Pays rhénans (Une tâche nouvelle) Société littéraire de la France, 1919, p. 82.