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ce grand témoignage. Il leur appartient, il est leur joyau, leur parure de fierté sous leurs vêtements noirs. Chacune d’elles, par son enfant, a rétabli l’honneur de la France. Le monde applaudit nos soldats morts et vivants, et regarde avec un silence angoissé les mères debout au pied de la croix. » « Les descendants de ceux qui ont lutté pendant la guerre de Sécession pour l’abolition de l’esclavage et l’émancipation du Noir » ont compris, suivant le mot profond de l’un d’eux, qu’ « il s’agit cette fois de l’émancipation du Blanc. » Et c’est bientôt ce que proclament, dans un manifeste solennel, cinq cents Américains, représentant l’élite intellectuelle de leur pays. Enfin, l’Amérique officielle, poussée à bout par les provocations allemandes, se lève à son tour : « un chantier, le plus extraordinaire qui soit au monde et qui fièrement ne voulait rien être d’autre, et qui méprisait les formes où s’attardent les peuples de l’Europe, veut de sa libre volonté devenir davantage une nation. » Spectacle prodigieux : dans une violente crise de conscience, un grand peuple retrouve le principe spirituel qui était sa raison d’être historique, et le Président Wilson continue Lincoln. Mais il y a plus : la levée en masse du peuple américain contre l’immorale Allemagne n’aurait pas été si prompte, ni si unanime, ni si généreusement efficace, si la France n’avait pas dû en bénéficier plus que tout autre peuple. A l’égard de la France, l’Amérique éprouve plus que de la sympathie, plus même que de l’amitié, une ardente, profonde, admirative et respectueuse tendresse. Et cette tendresse est faite non seulement de curieuses affinités électives, mais encore d’un vif et émouvant sentiment de gratitude. Les Etats-Unis se souviennent de La Fayette plus que nous ne nous en souvenons nous-mêmes, et ils ont voulu nous rendre au centuple tout ce que nous avions fait pour eux lors de leur guerre de l’Indépendance. De là leur enthousiasme, et l’admirable intensité de leur effort. « C’est autour de la cause française que s’est cristallisé le meilleur de la bonne volonté américaine. » Cette bonne volonté, M. Barrès a mis toute sa complaisance à la décrire ; mais il n’a pas cru qu’elle dût prendre fin avec la guerre. Profondément convaincu que les deux tempéraments américain et français, par leurs contrastes mêmes, sont destinés à se compléter l’un l’autre, pour le plus grand bénéfice de chacun d’eux, il appelle de ses vœux une coopération de plus en plus intime