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est allé s’en rendre compte sur place, une première fois dans une visite à l’armée anglaise, puis dans un voyage en Angleterre [1]. Il a vu défiler sous le ciel brumeux des Flandres, toutes les races amies de la France, Canadiens des lacs, spahis, Indiens du Nopal, Sikhs et Gourkas ; il a admiré l’extraordinaire bariolage de ces troupes exotiques venues librement au secours de la puissance anglaise, et il a eu pour « l’amitié canadienne » les paroles de prédilection fraternelle dont un Français peut difficilement se défendre. Il a contemplé la solidité sportive et le splendide entraînement moral de l’armée de volontaires que l’énergie de Kitchener a fait surgir du sol britannique. Il a été frappé du sérieux de ces robustes soldats « qu’une idée pure a décidés, » et qui « mettent au-dessus de tout la bravoure calme, froide, a toute épreuve. » Il a été émerveillé enfin de la perfection, de l’opulence des services de l’arrière, et de tout le confort que la vieille Angleterre a su assurer à ceux qui se battent pour elle. Lenteur puissante et grave, obstination sereine, profondeur du sentiment moral, ce sont là les traits qui lui paraissant caractériser l’âme anglaise, telle qu’elle se reflète à travers l’armée que nos voisins ont créée, presque de toutes pièces.

Et ce sont aussi les traits qui se sont imposés à son attention au cours du rapide voyage d’étude que, sur l’invitation du gouvernement britannique, M. Barrès a fait en Angleterre, au début de l’offensive de la Somme. Il s’agissait de faire toucher du doigt aux lecteurs de chez nous l’intensité et la résolution de l’effort anglais ; l’écrivain français put interroger M. Asquith, M. Lloyd George, « le petit homme à la figure de songe » qui fut, pendant la guerre, un ami si sûr et si fervent, et, depuis la paix, un ami si inconsistant de la France. Partout il constata « sympathie, gratitude, affection pour notre patrie. » « Tout ce que les Anglais ont de ferveur intellectuelle et sentimentale, écrit-il, s’est porté sur nous... Chaque fois que Lloyd George parle en public, il parle de la France. Toujours à un moment il s’avance sur la plate-forme, et il dit : « Et puis, il y a un pays qui s’appelle la France et qui est joliment bien ! « Alors les Anglais lancent leurs chapeaux en l’air. » Dans toutes les classes de la société, l’Angleterre a fait sienne la cause de la France et pour la soutenir, cette cause, pour la faire triompher,

  1. Voyez Une visite à l’armée anglaise, Berger-Levrault, 1915 (recueilli dans Pour les mutilés, Emile-Paul, 1917) et Voyage en Angleterre, Émile-Paul, 1919.