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son correspondant que le Comité avait besoin d’argent pour acheter certains concours subalternes et qu’une somme de 500 000 francs aiderait grandement à hâter l’heureux dénouement. Mais le point essentiel, sur lequel on insistait surtout, c’était l’envoi à Paris « d’une personne de confiance, » chargée de se mettre en rapport avec le Comité.

Restait à choisir cette « personne de confiance. » Fauche-Borel, comme on l’imagine, souhaitait ne laisser à nul autre le bénéfice de cette aubaine ; d’ailleurs, il se jugeait le seul capable d’apprécier, en homme rompu aux grandes affaires, l’importance du mouvement qui se préparait, les personnages qui allaient s’y trouver mêlés, leurs ressources, leurs projets, « d’enflammer leur zèle et d’évaluer les sommes nécessaires, à leurs dépenses secrètes. » C’était lui, du reste, que le Comité désirait et Perlet insistait beaucoup, dans l’intérêt de « la cause, » pour qu’il se décidât à se mettre en route. Mais Fauche était un peu refroidi par les admonestations du comte d’Antraigues, grand expert en intrigues et convaincu que « l’affaire Perlet » était une périlleuse mystification. Lord Howich lui-même, secrétaire d’Etat du ministre des Affaires étrangères, — soit qu’il redoutât les prétentions de Fauche, soit qu’il n’eût en lui qu’une médiocre confiance, — le mettait en garde contre quelque guet-apens et eût préféré envoyer à Paris l’un de ses compatriotes. Fauche, n’ayant pas oublié, lui, le mauvais tour joué à Desmarest et sachant qu’il s’exposait beaucoup en bravant le policier sur son domaine, se résignait, sans trop de peine, à céder la mission à un autre ; mais comme il la prévoyait immensément retentissante et lucrative, il tenait absolument à ce qu’elle fût confiée à quelqu’un des siens et il désigna au ministre son neveu Charles Vitel récemment débarqué à Londres.

C’était le plus jeune des deux frères : celui qui, treize ans auparavant, à Genève, s’était, un jour de Terreur, échappé de la maison familiale pour courir à l’endroit où on fusillait son père : on avait dû arracher l’enfant du lieu de l’exécution, ainsi qu’on l’a vu au début de ce récit. Charles comptait maintenant vingt-sept ans : c’était un grand garçon aux traits fins, aux yeux clairs, aux cheveux châtains, à l’air un peu féminin et mélancolique. Il s’était engagé â dix-huit ans dans l’armée anglaise et revenait, en ce mois de décembre 1806, d’une campagne aux Indes où il avait servi, en qualité d’enseigne, sous les ordres de