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Puis je la vois disparaître, je l’entends crier sous la voûte.

Puis je la vois se lancer comme une flèche, franchir les toits, s’enfoncer dans l’azur.

Je l’entends crier de douleur, crier au soleil ma douleur.


Tandis que mon corps est lavé et parfumé soigneusement par des mains pieuses, comme celui des morts, je suis pris d’un léger assoupissement.

Toutes les apparitions de la nuit d’insomnie se sont évanouies dans la lumière du matin.

Il est accordé à mon œil gauche de voir un peu de lumière.

Les volets sont entreclos, afin que n’entre pas le soleil, mais là-bas la vieille soie rosée du mur se dore.

Je reçois, sur ma paupière nue, une tiédeur qui accompagne la lueur et n’est autre que sa suavité.

Je sens que l’on frictionne mes genoux amaigris. Je les sens polis comme ceux des statues sépulcrales.

Le sommeil que l’équinoxe de printemps m’apporte, est comme le sommeil d’Hario sur le tombeau de Lucques. Cette lumière ressemble à celle du vitrail qui, là-bas, dans la cathédrale toscane, éclaire la statue gisante.

Je cède très lentement au sommeil, et je sais que je pourrais ne plus me réveiller.

Les mains pieuses me recouvrent d’un drap frais qui donne la vision du blanc à mon œil aveugle.

Je me suis dérobé à la nuit.

L’âme affligée semble purifiée, comme dirait le Mystique.

Mon sommeil n’est plus un flamboiement de fantômes formidables : c’est une clarté paisible et unie.

L’infirmière a dit : « La façade de la maison est déjà toute habillée de vert comme Ornella. »

Le mur s’évanouit ; les petites feuilles nouvelles tremblent presque sur mon visage ; c’est mon haleine qui les agite.

Combien de temps ai-je dormi ? Je sens tout de suite le larmoiement de mon œil malade sous le bandeau. Une larme est arrivée à la commissure des lèvres.

Les larmes que l’âme exprime et celles que verse la paupière irritée, sont-elles amères du même sel ?

Je devine l’après-midi. Il m’est resté dans mon corps chétif