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alimentaires, se multiplient, surtout dans l’Allemagne du Nord... Pour enrayer cette crise de pessimisme, le Kaiser vient de nommer le maréchal Hindenburg chef d’état-major général, en remplacement du général Falkenhayn. Cette nomination a déjà relevé un peu les courages. Désormais, tous les espoirs du peuple allemand se concentrent sur le sauveur de la Prusse orientale, le vainqueur de Tannenberg. La presse officieuse exalte, en termes dithyrambiques, la noblesse de son caractère, la grandeur de ses conceptions, la géniale virtuosité de ses manœuvres ; elle ne craint pas de l’égaler à Moltke, de le comparer au Grand Frédéric. On présume qu’il voudra justifier sans retard cette confiance enthousiaste. Comme aucune victoire n’est possible actuellement ni sur le front russe ni sur le front occidental, on suppose qu’il cherchera son coup d’éclat en Roumanie.



Mardi, 12 septembre.

La princesse Paleÿ m’a invité à dîner ce soir avec la grande-duchesse Marie-Pavlowna.

La réunion est tout intime : je suis d’autant plus à l’aise pour causer avec la Grande-Duchesse, que je n’ai pas revue depuis la disgrâce de Sazonow.

Nous reprenons notre conversation au point où nous l’avions laissée et nous mesurons le chemin parcouru. Nos renseignements concordent : l’Impératrice s’immisce de plus en plus dans la politique générale ; l’Empereur lui résiste de moins en moins.

— Ainsi, me dit la Grande-Duchesse, l’Empereur déteste Sturmer ; il le sait incapable et malhonnête ; il devine son jeu auprès de l’Impératrice et il en est impatient, car il n’est pas moins jaloux de son autorité vis-à-vis de l’Impératrice que vis-à-vis de tout autre. Mais il n’a pas eu le courage de soutenir Sazonow et il s’est laissé imposer Sturmer.

— Il n’a donc personne auprès de lui pour l’éclairer ?

— Personne... Vous connaissez son entourage !... C’est encore le vieux Fréederickz qui lui parle avec le plus de franchise. Mais il n’a aucune autorité... Puis, ne croyez pas que l’Empereur ait tant besoin d’être éclairé. Il sait très bien ce qu’il fait ; il a pleinement conscience de ses erreurs et de ses fautes. Son jugement est presque toujours droit. Aussi je suis