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temps à autre, un pope rappelle que c’est, pour le peuple russe, un devoir sacré, une obligation sainte d’arracher Tsarigrad aux infidèles et de rétablir la croix orthodoxe sur la coupole de Sainte-Sophie. On l’écoute avec une attention soumise et recueillie, mais sans attacher à son langage une signification .plus positive, plus immédiate que s’il avait parlé du Jugement dernier et des peines infernales. Il importe aussi de noter que le moujik, qui est éminemment pacifique et compatissant, qui est toujours prêt à fraterniser avec son ennemi, témoigne une horreur croissante pour les cruautés de la guerre.

Dans les milieux ouvriers, on ne s’intéresse aucunement à Constantinople. On estime que la Russie est déjà bien assez vaste et que, au lieu de verser le sang du peuple pour des conquêtes absurdes, le Gouvernement du Tsar ferait beaucoup mieux de soulager les misères du prolétariat.

A un étage supérieur, parmi les bourgeois, les marchands, les chefs d’industrie, les ingénieurs, les avocats, les médecins, etc., on reconnaît l’importance du problème que le sort de Constantinople pose devant la Russie ; on n’ignore pas que la voie du Bosphore et des Dardanelles est nécessaire à l’exportation des blés russes et l’on ne veut plus qu’un ordre venu de Berlin puisse intercepter cette voie. Mais on écarte, on réprouve même la thèse historique et mystique des slavophiles et l’on arrive à conclure qu’il suffirait d’obtenir, sous la garantie d’un organisme international, la neutralisation des Détroits.

L’idée d’annexer Constantinople à l’Empire ne conserve plus d’adeptes que dans le camp assez restreint des nationalistes et dans le groupe des libéraux doctrinaires.

Mais, la question de Constantinople et des Détroits mise à part, les dispositions du peuple russe par rapport à la guerre sont généralement satisfaisantes. Sauf dans le parti social-démocrate et dans l’extrême-droite du parti réactionnaire, il n’est personne qui ne soit résolu â poursuivre la guerre jusqu’à la victoire.



Lundi, 14 août.

Se disposant à partir bientôt pour Stockholm, le comte Maurice Zamoÿski revient déjeuner en tête-à-tête avec moi. Patriote ardent, esprit droit, clairvoyant et pratique. Notre conversation,