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prairie où les pieds poudreux des voyageurs n’empêchent point que fleurisse un magique trèfle à quatre feuilles (le Dôme, le Baptistère, le Campanile et le Campo Santo), divinement doré, ce matin, par les premiers soleils de l’année.


Et Sienne :


Étrange enfant, cette Sienne, à la fois si dure et si souple, cerclée de murailles qui la compriment et assise avec aisance sur trois collines. Ces rues étroites, enchevêtrées, qui sans trêve grimpent et dévalent, que de fois je les ai suivies dans la fraîcheur qu’y maintiennent, même en été, les lourds palais qui les bordent !


Qu’on relise maintenant les pages si poétiques, si voluptueusement luxuriantes sur les Jardins de Lombardie ; et l’on aura là quelques-uns des paysages les plus achevés de la prose française contemporaine. M. Maurice Barrès paysagiste mériterait toute une étude. Ce n’est pas la manière de Chateaubriand qui, en quelques traits, artistement choisis, compose un tableau grandiose et complet, dont la perfection s’impose à l’imagination du lecteur. Ce n’est pas celle de Loti qui, on ne sait trop comment, par quelques mots subtilement assemblés, suggère les sensations mêmes qu’il a personnellement éprouvées en face de certains spectacles de la nature. Pour M. Barrès, un paysage est essentiellement « un état d’âme, » au sens, d’ailleurs impropre, où l’on prend d’ordinaire ce mot célèbre, et c’est cet état d’âme qu’il analyse et qu’il traduit. Très sensible aux impressions qui lui viennent du monde extérieur, il se laisse docilement faire par elles et les incorpore à son moi. Ainsi mis dans un certain état moral, il s’efforce, par des images, des épithètes, des notations appropriées, d’exprimer cet état moral au complet, avec leurs causes directes et les nuances particulières d’émotion qu’elles déterminent ; et les paysages qu’il dessine, mi-physiques, mi-psychologiques, ont tout ensemble une intensité de coloris et une saveur de spiritualité qui ont ravi tous les « amateurs d’âmes » — et de poésie.


Nous sommes aux environs de 1895. Ces dix ou douze années d’apprentissage, d’efforts et de tentatives en tous sens, ont été fécondes. D’abord, à s’exercer dans les genres les plus divers, — il a même une fois abordé le théâtre, — M. Barrès a mis au jour, il