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Qu’est-ce à dire ? Et faut-il voir dans des déclarations de ce genre une adhésion intime à un ensemble de croyances dont, tout d’abord, l’écrivain de Sous l’œil des Barbares n’avait point paru beaucoup se soucier ? De bonne heure il s’était nourri de certains mystiques, et, pour enrichir et « sublimer » sa propre vie intérieure, il avait essayé d’appliquer leurs méthodes et de leur ravir leurs secrets. « Son mysticisme incroyant, disait de lui M. Bourget, a conduit M. Barrès à une audacieuse tentative pour appliquer à ses propres émotions la dialectique morale enseignée par les grands religieux, par les François de Sales et les Ignace de Loyola, et c’est toute la pensée de l’Homme libre que cette idée. « Et M. Bourget ajoutait, profondément :


Le paradoxe qui est au fond d’une pareille thèse, M. Maurice Barrès a trop de sincérité pour ne pas le découvrir un jour. Ce jour-là, il prononcera la phrase admirable de notre maître Michelet : « Je ne peux me passer de Dieu. » Tous les dons si rares de sa noble nature seront alors éclairés et harmonisés. Mais n’est-ce pas une communication avec un hors de lui, n’est-ce pas une foi qu’il cherche quand il parle de cet instinct des foules dont il a le si profond amour[1] ?


L’auteur de Toute licence, sauf contre l’amour semblait donner raison à M. Bourget.

Et en 1894, il faisait paraître, sous un titre flamboyant, un livre qui, si, à proprement parler, il ne nous révélait pas un Barrès tout à fait nouveau, précisait pourtant et développait certains traits, encore peu accusés, mais essentiels, de sa physionomie littéraire. Je crois bien que c’est à partir de Du Sang, de la Volupté et de la Mort que la réputation de M. Barrès qui, jusqu’alors, n’avait guère franchi un cercle assez restreint d’initiés, s’est décidément imposée à un plus large public[2].

Le livre n’est qu’un recueil, assez bigarré, de. méditations ardentes, d’« idéologies passionnées, » de nouvelles, de rêveries, d’impressions de voyage. La théorie du culte du moi s’y enrichit

  1. Article du 15 août 1890, écrit à propos de Un Homme libre, et cité avec reconnaissance par M. Barrès dans Amori et dolori sacrum, éd. originale, Juven, p. 307-311. — Sur la feuille de garde de Toute licence, sauf contre l’amour, je note encore : « En préparation : les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, avec une préface de Maurice Barrès. »
  2. Voyez, dans la Revue du 15 décembre 1894, l’article de M. Doumic (recueilli dans les Jeunes, Perrin, 1895).