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Russie de Lénine et de Trotsky. » Le socialisme, s’il n’était pas fédéraliste, écrit-il, ne serait que le transfert de notre société actuelle aux mains de nouveaux dirigeants.’ Et, plutôt que de Karl Marx, il s’inspire d’un penseur français, Proudhon, préludant ainsi à ce que l’on a depuis appelé « le socialisme national, » et opérant déjà cette synthèse entre l’intelligence, le capital et le travail, qui est la vraie tradition française, et qui s’oppose si harmonieusement à la barbare doctrine de la « lutte des classes, » telle qu’on l’a conçue et imposée outre-Rhin. Très préoccupé d’assainir et de renouveler « l’énergie nationale, » M. Maurice Barrès ne voit pour le pays de salut que dans une sage décentralisation. À cette France congestionnée, unitaire et où 36 millions d’individus abdiquent entre les mains d’une poignée de politiciens qui les corrompent et les oppriment, il rêve de substituer une France fédéraliste où la vie communale ne serait plus un vain mot, où seraient créées un certain nombre de régions naturelles jouissant d’une large autonomie administrative, politique et sociale, et dont l’unité pacifique serait faite du libre groupement de ces forces particulières. À cette seule condition, croit-il, on verra « la France plus forte et la paix organisée en Europe. » Dans une fort curieuse conférence qu’il prononçait à Bordeaux, le 29 juin 1895, sous les auspices du « comité intransigeant socialiste, » il s’écriait :


Vous sentez bien que les vrais individus sont rares dans ce temps de domestication universelle. Seule la décentralisation peut nous sauver. À toutes les objections que pourraient nous faire le patriote pour qui le seul problème allemand existe, ou l’internationaliste qui veut effacer toutes nuances de races, voici notre réponse ; le fédéralisme nous permet d’aimer la pairie, sans nous forcer de haïr l’étranger.

Ah ! que ne suis-je un grand orateur pour jeter la lumière sur cette ascension de liberté qui, s’élevant de bas en haut, de l’individu libre à la commune libre, permet à la commune de se mouvoir dans la région, épanouit la région dans l’union nationale et fédère la nation elle-même par un lien plus lâche avec les autres États de l’Europe[1].


L’événement allait prouver que ces vues étaient un peu prématurées, qu’elles ne pouvaient prendre corps et faire fortune,

  1. Assainissement et Fédéralisme, Paris, Librairie de la Revue socialiste, 1895, p. 15. — Cf. la brochure Contre les étrangers, étude pour la protection des ouvriers français. 1893.