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vote une motion de M. de Lasteyrie rappelant à M. Briand l’engagement qu’il a pris de ne consentir aucun nouveau sacrifice. Au Sénat, la Commission des réparations vote un texte où se marque davantage encore une inquiétude défiante. Le 12, l’alarme a encore grandi : on a lu « l’aide-mémoire. » Le Président de la République adresse à M. Briand un avertissement pressant. Télégramme de « l’intergroupe républicain » qui compte 240 membres ; télégramme de la commission des affaires extérieures du Sénat après un bref discours de M. Poincaré. Une très forte opposition se manifeste au sein même du cabinet. M. Briand revient précipitamment dans la nuit du 12 au 13 ; il s’explique au Conseil des ministres et rallie ses collègues, mais il sent, à la Chambre, l’opposition grandissante, l’inquiétude ; il termine son discours par l’annonce de sa démission.

Parmi les éléments qui ont déterminé la retraite de M. Briand, il faut faire une place très importante à la question de la priorité belge. M. Poincaré a expliqué ici que des imprudences avaient été commises qui pouvaient faire croire aux Belges que la France cherchait un avantage à leurs dépens. La Chambre, le jour de sa rentrée, soulignant une phrase heureuse de M. Raoul Péret sur la Belgique, se tourna tout entière vers la tribune diplomatique où se tenait l’ambassadeur du roi Albert et lui fit une longue, unanime et chaleureuse ovation. La fraternité franco-belge est pour nous sacrée ; y toucher c’est provoquer l’indignation générale ; il n’est même pas permis de faire passer nos intérêts avant ceux des Belges. M. Briand, sans mauvaises intentions, vient d’en faire l’expérience à ses dépens. Il nous sera permis de regretter que certains journaux belges n’aient pas compris toute la portée et tout le prix de cette colère française et fassent encore écho à la presse anglaise quand elle accuse la France d’être un obstacle à la reconstruction de l’Europe.

La crise qui s’ouvrait brusquement par la démission de M. Briand devait être, dans les circonstances délicates où elle se produisait, rapidement dénouée. Dans la soirée du 13, M. Raymond Poincaré était appelé à l’Elysée où M. Millerand faisait appel à son dévouement pour assumer la lourde charge du pouvoir. L’ancien Président de la République s’assurait d’abord, pour les Finances, de la haute compétence de M. de Lasteyrie, pour l’Intérieur de l’impartialité résolue de M. Maurice Maunoury ; dès le lendemain, le succès de la combinaison était si certain que M. Poincaré pouvait, à titre officieux mais avec la certitude de ne pas faire œuvre vaine, s’entretenir avec M. Lloyd George qui, revenant de Cannes par Paris, avait exprimé le désir de le voir,