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UN GRAND LINGUISTE DANOIS, VILHELM THOMSEN.

en 1890. Plus on a étudié de près le développement des langues, et plus le rôle des influences de civilisation, qui se traduisent par des emprunts d’une langue à une autre, s’est révélé grand. Sans doute le français est une forme prise par le latin dans des conditions historiques particulières, et le fonds principal du vocabulaire français usuel se compose de mots latins qui se sont transmis d’âge en âge, en subissant au cours de cette transmission des changements de forme et de sens. Mais on ne peut presque pas écrire une phrase française sans y mettre des mots empruntés au latin écrit ; s’il est vrai que entendre est un vieux mot, l’abstrait correspondant audition ou le nom d’agent auditeur sont de purs emprunts au latin écrit. Avant d’avoir étudié de près les parlers populaires, on s’imaginait qu’on y trouverait dans leur pureté les résultats de l’évolution du latin sur le sol français ; le jour où on les a examinés dans le détail et où, d’autre part, l’Atlas linguistique de la France de M. Gilliéron a permis de restituer, grâce à la comparaison, l’histoire d’un bon nombre de mots locaux, on s’est aperçu que le vocabulaire des patois se compose dans une large mesure d’emprunts, et que les patois sont beaucoup plus nourris de français littéraire que le français ne l’est de patois.

En prenant pour objet de ses recherches les problèmes que pose l’emprunt d’un vocabulaire à un autre, M. V. Thomsen avait donc reconnu dès sec premiers travaux l’une des directions où la linguistique devait, durant les années suivantes, trouver une de ses principales voies.

Une découverte plus personnelle, et qui devait le placer au nombre des grands déchiffreurs, a mis dans un jour plus éclatant encore la rigueur de méthode de M. V. Thomsen et la pénétration de son esprit.

On avait relevé en Sibérie, sur les bords de l’Orkhon et de l’Iénisséi, des inscriptions écrites en un alphabet inconnu. Ces inscriptions avaient été publiées ; mais on n’avait jamais réussi à les lire ni par suite à les interpréter. En 1893, M. V. Thomsen publiait le principe du déchiffrement de cet alphabet, et, peu après, il donnait une transcription avec traduction complète de l’ensemble des textes connus. Il avait à lui seul réussi à déterminer la valeur de tous les signes de l’alphabet. Bien que non