Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

état social, en sont-elles venues à admettre l’éventualité d’une collaboration ? Il faut l’expliquer.

Dès le printemps de 1919, c’est-à-dire dès l’origine du mouvement national turc, les bolchévistes regardent du côté de l’Anatolie et observent avec attention tout ce qui s’y passe. On a prétendu, sans preuves certaines, qu’ils avaient des agents aux Congrès d’Erzeroum et de Sivas. Ce qui est bien démontré, c’est qu’ils s’installent à Trébizonde et y fondent deux journaux : l’un de langue turque, le Selamet, l’autre de langue grecque, l’Epokhi. Les résultats de cette première entreprise sont à peu près nuls. Les agents de Moscou font un nouvel essai à Eski-Chékir, où vivent de nombreux Tartares émigrés de Russie : ils y achètent un petit journal, le Kouroultaï, et commencent à exposer les doctrines communistes. Cette propagande agit sur les émigrés, mais laisse les Turcs indigènes parfaitement indifférents. Il faut recourir à d’autres moyens : dès que le mouvement insurrectionnel a pris une forme régulière, et que la Grande Assemblée s’est installée à Angora, le gouvernement de Moscou décide de lui envoyer des délégués. A Bakou, au Congrès des Peuples d’Orient, Zinoview avait affecté le plus grand dédain pour le concours que pouvaient offrir au bolchévisme les populations orientales prêtes à se soulever au nom du principe nationaliste. Mais Lénine ne partageait point là-dessus l’opinion de Zinoview. Il avait clairement aperçu le parti qu’on pouvait tirer, contre les puissances de l’Entente, de l’exaspération du sentiment national, en Asie comme en Europe. Dans un document daté de Moscou, qui semble remonter aux derniers mois de 1920 et qui prédit avec une étrange clairvoyance les événements qui se produisirent un peu plus tard en Haute-Silésie, on lit ce qui suit :


Nous devons utiliser l’état d’esprit des sphères dirigeantes allemandes. Les informations relatives à l’Allemagne montrent à l’évidence que la diplomatie des Soviets devra sortir de la sphère étroite des intérêts de parti, et, au lieu de prendre pour base le principe des intérêts de classe, adapter son action aux principes de l’État national. Si nous savons nous en rendre compte, notre succès est assuré, aussi bien là qu’en Turquie, où, sous le couvert de la lutte nationale, nous travaillons pour la Troisième Internationale, et où le mot d’ordre : A bas le Traité de Sèvres ! à bas l’Entente ! a transformé le pacha turc en ardent défenseur des intérêts bolchévistes.