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occupera dans le sépulcre, quand le vent de l’action se glaça sur mon visage, l’effaçant presque, et quand les fantômes de la bataille furent d’un seul coup bannis du seuil noir de mon tombeau ; quand le silence se fit en moi et autour de moi ; quand j’eus abandonné ma chair et retrouvé mon esprit, dominant ma première anxiété confuse, se réveilla le besoin d’exprimer, de signifier. Et presque aussitôt je me mis à chercher quelque ingénieux moyen d’éluder les rigueurs de la cure et de tromper le médecin sévère sans toutefois enfreindre ses commandements.

Il m’était défendu de discourir et tout spécialement de parler en sculptant les mots à ma façon ; en outre, il ne m’était pas possible de vaincre ma vieille répugnance pour la dictée, ni cette pudeur secrète de l’art qui ne veut pas d’intermédiaires ou de témoins entre la matière et celui qui la traite. L’expérience me dissuadait d’essayer d’écrire la page, les yeux fermés : la difficulté n’est pas dans la première ligne, mais dans la seconde et dans les suivantes.

Alors il me revint à la mémoire la manière des Sibylles qui écrivaient leur brève sentence sur des feuilles dispersées au vent du destin.

Je souris d’un sourire que personne ne surprit, dans l’ombre, quand je reconnus le froissis du papier que la Sirenetta [1] découpait à mon intention en minces bandelettes, étendue sur le tapis de la chambre voisine, à la lueur d’une lampe basse.


Elle doit avoir le menton éclairé, comme par la réverbération du sable brûlant, quand nous étions allongés l’un à côté de l’autre sur la plage pisane, au temps joyeux.

Le papier fait un bruit régulier qui, dans mon imagination, évoque celui du ressac au pied des tamaris et des genévriers brûlés par le vent d’Afrique.

Sous le bandeau, le fond de mon œil blessé flamboie comme le midi d’été, à Bocca d’Arno.

Je vois le sable ridé par le vent, baigné par la vague.

Je peux compter les grains, y plonger la main, m’en remplir la paume, les laisser couler entre mes doigts.

La flamme grandit, la canicule sévit. Le sable brille dans le champ de ma vision comme le mica et le quartz. Il m’éblouit ;

  1. La petite sirène, Renée, la fille du poète.