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pas longtemps dans sa petite ville : il se sentait trop indispensable pour consentir h, priver de ses services la cause des Bourbons : en outre, il avait hâte d’entamer avec les confidents de Barras la négociation dont il venait de poser si habilement les bases ; enfin l’armée française menaçait la principauté de Neuchâtel et il ne doutait pas que sa capture ne fût le but de l’expédition. Il quitta donc de nouveautés siens, passa en Bavière, gagna Augsbourg où il retrouva bon nombre de « fructidorisés ; » il y fut présenté à M. de Vezet, à M. de Précy, tous deux agents de Louis XVIII, et c’est ainsi qu’il s’affilia définitivement à cette vaste conspiration royaliste dont le Roi proscrit tenait les fils et qui comptait, disséminés dans toute la France et presque dans toute l’Europe, des complices en nombre infini dont l’histoire, si jamais on peut l’écrire, composera le plus étonnant chapitre des chroniques clandestines de la Révolution.


Le drame auquel sera mêlé Fauche-Borel paraîtrait invraisemblable si l’on ne s’arrêtait à portraire tout d’abord le monde singulier auquel il va désormais s’adapter. Il ne s’agit pas, bien entendu, de présenter ici un tableau complet de ces agences secrètes qu’entretint en France le parti royaliste, depuis 1792 jusqu’en 1814, et de leurs insaisissables ramifications ; il suffit de fixer certains points de repère dans ce dédale presque inexploré et d’esquisser quelques-unes des figures les plus caractéristiques de ce grouillement d’inconnus. Si cet aperçu semble peu flatteur, on ne doit pas oublier que les monarchistes se trouvaient mal préparés à la propagande politique : leur conviction, plus instinctive que réfléchie, était de celles qu’on ne discute guère ; elle tenait moins du raisonnement que d’une dévotion chevaleresque : de là leur ferveur intransigeante, leur foi volontairement aveugle dans le succès toujours prochain, et, par suite, leur imprévoyance et leurs maladresses.

Après les grandes déceptions de 1792, le comte de Provence, régent de France depuis la mort de son frère Louis XVI, avait erré de Coblentz à Namur, à Hamm en Westphalie, à Livourne, à Turin ; il s’était fixé durant l’été de 1794 dans les Etats de Venise, à Vérone, et c’est là qu’il se proclama précipitamment Roi dès que circula le bruit de la mort de Louis XVII au Temple, événement depuis longtemps prévu, — on n’oserait écrire « désiré, » — en l’attente duquel Louis XVIII occupait