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écrivait-il encore. — Qu’est-ce qu’un armistice de quarante années ? Sommes-nous prêts, sommes-nous les meilleurs ? Voilà l’unique question, la grande question toute claire, toute crue, qui chasse les vaines songeries. » Se faisant l’écho des impressions vécues qu’il avait recueillies en Lorraine, il répondait à la question ainsi posée avec un optimisme auquel la guerre, au total, devait donner pleinement raison. Soldats et officiers, artillerie, haut commandement, sur tous ces points essentiels, les Lorrains annexés estimaient l’armée française nettement supérieure à l’armée allemande ; et ils se laissaient aller à des « pensées de libération. » « J’entendais vraiment, nous confie M. Barrès, des captifs saluer l’espérance [1]. » A cette date, exprimer ces pressentiments qui, si tôt, allaient devenir prophétiques, ce n’était pas rendre un mauvais service à son pays.

En attendant l’inéluctable échéance, c’était lui en rendre un autre que d’évoquer et de chanter la Grande Pitié des églises de France. — Ce beau livre, — l’un de ceux où les divers aspects et les contrastes mêmes de la pensée et du talent de M. Barrès s’expriment le plus complètement et se concilient de la façon la plus harmonieuse, — est à la fois le plus personnel peut-être et le plus impersonnel de tous ceux qu’a écrits l’auteur des Déracinés. Il y a dans le Voyage de Sparte quelques lignes qui pourraient servir d’épigraphe à l’œuvre tout entière de l’écrivain. Il n’en saurait vouloir, nous dit-il, au voiturier lacédémonien qui le berce et l’ennuie de sa monotone et intarissable chanson : « Si je cours, avoue-t-il, dans ces montagnes du Péloponèse, c’est pour y ressentir des humeurs nouvelles et les traduire en phrases longues, brèves, lourdes, ailées, pareilles à des barques mouvementées sur mon cœur. Quand je suis si personnel que je ne parviens pas à fixer mon attention sur le terrain de Mantinée, sur les vestiges de Tégée, ni sur le lion de Piali, convient-il que je blâme un pauvre cocher qui ne s’occupe, comme moi, qu’à produire son âme ? « Ne nous étonnons pas que ce grave sujet des églises de France lui ait été un nouveau prétexte « à produire son âme : « c’est le propre des questions religieuses, par quelque biais qu’on les prenne, d’émouvoir en chacun de nous et de faire affleurer à la surface de

  1. Autour d’un discours à Metz — (Écho de Paris 1er et 15 septembre 1911), non recueilli en volume.