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et noble matière d’art français. » J’ai tenté, nous dit-il, d’incorporer à notre littérature les grands exemples de constance et de fierté qu’ils fournissent chaque jour, là-bas, afin que leur vertu continue de s’exercer au milieu de nous. » Il y a excellemment réussi [1].


IV

Ce dépouillement progressif de son romantisme originel s’est opéré, chez M. Barrès, d’une façon parfaitement consciente. A cette évolution si marquée du goût et de l’art, il a fait coopérer les circonstances changeantes de sa vie individuelle aussi bien que les expériences nouvelles qu’il lui plaisait de tenter. C’est ce que l’on perçoit fort nettement dans un livre qui, commencé en 1900, n’a été achevé et publié qu’en 1905, sous ce titre : le Voyage de Sparte. Le livre n’est point parfait : il n’est pas d’une seule venue, et l’on y sent trop les retouches et les reprises ; les longueurs, les digressions y abondent ; l’histoire de Louis Ménard, celle de Tigrane, les pages sur l’Iphigénie de Gœthe n’ont avec la relation d’un voyage en Grèce qu’un rapport bien lointain ; il se mêle aussi trop de « littérature, » — je veux dire des souvenirs de lectures trop voisines et trop fraîches, — aux impressions personnelles de l’auteur. Mais, « la part de l’envie » ainsi faite, comment ne pas savoir gré à l’écrivain d’une sincérité dont il nous donne des preuves touchantes et multipliées ? En un sujet où l’excitation factice est si facile, qu’elle aurait droit à l’indulgence, il s’y dérobe de parti pris. Il nous avoue que le polythéisme de Louis Ménard l’ « ennuie, »

  1. Pour mesurer l’action d’un écrivain sur ses lecteurs, rien ne vaut les « petits faits vrais, » les témoignages précis et positifs. De ces témoignages involontaires, il m’en tombe un sous les yeux, dont il est, je pense, bien inutile de souligner l’intérêt. Je l’emprunte à une lettre qui m’est communiquée, et qui est datée du 20 août 1913 : «... Deux de mes amis étaient, l’autre dimanche, à Metz. Étant allés faire leur pèlerinage au monument du Souvenir français, au cimetière, ils virent se diriger vers eux un soldat portant l’uniforme allemand. Tout d’abord, ils essayèrent de l’éviter. Le soldat insista et, franchement, les aborda d’un : « Bonjour, Messieurs ! « Il avait deviné des Parisiens et des patriotes, et il avait besoin de s’excuser à leurs yeux. Il leur dit : « Que l’uniforme que je porte ne vous indispose pas... Nous sommes ici les soldats de Barrès ! « Et comme l’un de mes amis lui faisait remarquer que le numéro de son régiment était le même que le sien : « Avec cette différence, répondit le jeune Lorrain, que, vous, c’est de l’autre côté ! « En se serrant la main, pour se quitter, tous trois avaient les larmes plein les yeux…»