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françaises et « l’énergie nationale » eussent-elles gagné à ce que M. Maurice Barrès s’enfermât dans sa vallée de la Moselle et limitât sa destinée à être magistrat, ou même journaliste, à Nancy ? Enfin, l’enseignement universitaire peut avoir toute sorte de défauts ; mais, — ne nous laissons pas ici abuser par de mauvais souvenirs personnels de collège, — s’il se propose pour objet de franciser, d’humaniser, — c’est tout un, — les jeunes provinciaux qui lui sont soumis, de les acheminer à des conceptions moins locales, plus générales du monde et de la vie, il remplit exactement sa fonction propre, et il faut l’en féliciter. Élever un enfant, — la langue même l’indique avec une force merveilleuse, — c’est le détacher de lui-même, c’est le dégager de sa gangue originelle, et le faire progressivement passer d’un état voisin de l’animalité primitive à un état d’humanité supérieure. Elever, c’est épurer, c’est affranchir ; c’est, si l’on veut, « déraciner » en chacun de nous l’instinct égoïste et lui substituer une claire volonté d’altruisme. En ce sens, le « déracinement’ est une chose non seulement légitime, mais nécessaire ; c’est le dernier mot et la fin dernière de toute éducation véritable... Mais ne faut-il pas maintenant reconnaître qu’un livre qui, sans parler de ses autres mérites littéraires, soulève de pareilles questions, n’est pas un roman ordinaire. En écrivant son Roman de l’énergie nationale, M. Barrès a pris rang, décidément, parmi les premiers écrivains d’aujourd’hui.


II

Son œuvre de romancier, si importante qu’elle fût à ses yeux [1], n’absorbait pas son activité tout entière. Il écrivait d’autres livres, il poursuivait son labeur de journaliste ; surtout il se mêlait à l’action politique. « Depuis mon premier livre, livre d’enfant, Sous l’œil des Barbares, a-t-il dit, je n’ai donné au travail pour lequel je suis né que les instants que je dérobais à ma tâche politique. » Il avait cessé de trouver Déroulède « encombrant » et il avait adhéré à la Ligue des Patriotes. Lorsqu’en 1898, la douloureuse « Affaire « éclata,

  1. « Ai-je un talent ? Si faible qu’il soit, en interprétant les aventures de l’Énergie nationale dans ces dernières années, j’ai mieux servi l’esprit français, que par les trois cents réunions où j’ai dénoncé les parlementaires. » (Scènes et doctrines du Nationalisme, éd. originale, Juven, p. 6.)