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croiseur grec est à l’ancre devant le palais du Sultan. Dites vous-même si cette ville peut être la capitale d’un État en guerre. Entre Stamboul et Angora, il pouvait y avoir un certain antagonisme, tant que l’exécution du traité de Sèvres était en question. Aujourd’hui que l’impossibilité d’appliquer le traité sans modification est reconnue de tous, cet antagonisme n’a plus de raison d’exister. Il reste, si vous voulez, un certain dualisme dont nous avons intérêt à maintenir l’apparence, mais qui disparaîtra à son tour au moment que nous jugerons opportun, c’est-à-dire lorsqu’aura sonné l’heure de la paix.

En dépit de ces explications, je pouvais difficilement admettre que le danger grec eût suffi à établir l’union sacrée entre des partis que divisaient profondément entre eux leurs doctrines politiques, les ambitions de leurs chefs, et jusqu’à leur manière d’envisager l’avenir de la Turquie. Je n’apercevais pas non plus très clairement l’évolution qu’avait subie l’ancien parti de l’Union el Progrès, et le rôle qu’il jouait actuellement dans le mouvement dirigé par Moustapha Kemal. Le jeune rédacteur en chef de l’Ikdam, Yacoub Cadri Boy, avait séjourné récemment à Angora : il était à la veille d’y retourner ; je lui demandai de vouloir bien m’éclairer sur ces deux points.

— Lorsqu’on parle en Occident de l’Union et Progrès, — me dit Yacoub Cadri, — on se figure volontiers un parti homogène, composé d’hommes qui professent la même doctrine et poursuivent le même idéal. Jamais le parti unioniste n’a présenté cette cohésion. Il y a toujours eu, il y a encore aujourd’hui, dans l’Union, des musulmans et des juifs, des hodjas, des francs-maçons el des libres-penseurs, des libéraux et des radicaux. Quelques-uns d’entre les Unionistes portant la responsabilité d’avoir entraîné la Turquie dans la guerre, les résultats de la guerre ont naturellement affaibli l’autorité et diminué le prestige du parti tout entier. La grande majorité des Unionistes a renié, après coup, Enver, Djemal et leurs amis. Il n’en restait pas moins que c’était l’Union et Progrès qui avait fourni à l’Allemagne l’occasion et les moyens d’asservir, et par la suite de ruiner l’Empire ottoman.

« Les événements qui suivirent l’armistice : occupation de Constantinople par les Alliés, arrivée au pouvoir de Damad Férid, coup de force des Anglais, rendirent la position des Unionistes de plus en plus intenable. La Chambre dissoute et le