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Enfin le journal turc s’élevait contre l’abus des loteries, bazars et bals de bienfaisance, patronnes par des dames russes, dont les parures coûteuses, exhibées dans des lieux publics, insultaient à cette misère qu’elles prétendaient soulager.

Certes le « péril russe » n’a pas cessé d’exister pour la Turquie ; mais il n’est pas encore près de se réaliser sous la forme que rêvent quelques Slaves mystiques. Quant aux organisations russes de Constantinople, elles sont si nombreuses, si éphémères, si anarchiques, qu’elles ne semblent pas constituer une menace bien sérieuse. Ce qui a directement atteint le peuple turc, c’est la concurrence économique. Il a dû partager avec les émigrés russes le ravitaillement, le logement, le travail, tout ce dont il n’avait même pas assez pour lui ; encore le partage fut-il souvent inégal, le Russe étant aussi patient que le Turc, aussi résistant à la fatigue, mais plus entreprenant et plus ingénieux. Accoutumés à voir leur ville encombrée d’étrangers, les Turcs s’étonnaient pourtant que tant de malheureux y cherchassent un refuge, alors qu’elle offrait si peu de ressources et abritait déjà tant de misère.


MISÈRE ET CORRUPTION

On imagine l’état pitoyable auquel trois années d’occupation, succédant à trois années de guerre, et aggravées de circonstances telles que le double exode des musulmans de Thrace et d’Anatolie et l’émigration russe, ont réduit la population de Constantinople : je ne veux pas y insister davantage. Mais je ne puis me tenir d’observer à quel point la bienfaisance des pays d’Occident, à moins d’un long apprentissage, est impuissante et maladroite à secourir la misère orientale. Les Allies ont fondé à Constantinople plusieurs organisations de secours ayant un caractère officiel ; l’initiative privée y a adjoint des comités innombrables. Les fêtes de charité, les bals, les ventes, les loteries se succédaient sans interruption. Le résultat de tant d’efforts, ou de tant d’agitation, n’apparaissait guère.

Comment ne s’cst-on pas avisé de confier l’organisation et la direction des œuvres d’assistance aux spécialistes, aux hommes et aux femmes qui, recueillant et perpétuant une tradition de plusieurs siècles, ont consacré leur vie à soulager toutes les misères physiques et morales de l’Orient, je veux dire aux