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désordre et du malaise qui résultent d’une situation paradoxale. Un séjour de six mois m’a donné tout loisir d’analyser, d’approfondir cette première impression et n’a fait que la confirmer. En interrogeant tour à tour les représentants des diverses « nations «  qui, tant bien que mal, depuis des siècles, vivent côte à côte dans la capitale comme dans les provinces de l’Empire ottoman, en étudiant sur place les divers aspects de la « question turque, » telle qu’elle se pose aujourd’hui, j’en suis venu parfois à me demander si n’importe quelle solution n’eût pas mieux valu que cette absence de toute solution, cette confusion systématique et compliquée qu’entretient depuis trois ans en Turquie l’indécision des Alliés, ou leur désaccord. Pourtant, à la réflexion, on reconnaît que certaines des solutions proposées auraient entraîné des conséquences peut-être irréparables, et que ce chaos prolongé, quelques dommages qu’il cause, a du moins l’avantage de réserver l’avenir. Encore ne saurait-il plus le réserver très longtemps.

Qu’il s’agisse de Constantinople ou des Détroits, de l’Asie-Mineure ou de la Thrace, ces questions ne peuvent plus être réglées selon la pure convenance de l’Etat ou du groupe d’Etats qui se trouvera assez fort pour imposer sa volonté. Un problème les domine, qu’il faut d’abord étudier et essayer de résoudre : « Les Turcs musulmans forment une nation et ont, par des conquêtes successives, constitué un Etat. Cet Etat doit-il et peut-il subsister, dans quelles limites et à quelles conditions ? Cette nation, qui possède un caractère spécifique, une histoire, des institutions politiques et militaires, religieuses et juridiques, en un mot une certaine organisation, peut-elle être admise dans le concert, comme on disait autrefois, ou comme on dit aujourd’hui, dans la société des nations civilisées, ou bien doit-elle en être rejetée ? La religion islamique et la législation qui en découle condamnent-elles le peuple turc à l’immobilité, ou, au contraire, lui laissent-elles la faculté de s’accommoder progressivement aux exigences et aux obligations que comporte la vie régulière d’un Etat moderne ? « A ces questions difficiles, des réponses sommaires et catégoriques ont été faites récemment par des hommes politiques considérables. Peut-être n’en est-il que plus nécessaire de les soumettre à un examen sérieux et objectif.

Mon dessein n’est pas de procéder méthodiquement à cet examen, qui, pour être complet et définitif, exigerait les compétences