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dispositions de l’Amérique, commandées par ses intérêts, étaient telles que cet échec était inévitable, et la seule faute que nous ayons commise a été de nous bercer de folles espérances et de nous laisser aveugler, de nouveau, par la politique sentimentale. Dans une allocution qu’il adressait naguère à la jeunesse du Palais, M. Millerand disait : « Soyez réalistes, pour défendre votre idéal. » Nous avons un peu perdu de vue cet excellent conseil, et maintenant voici qu’en regardant les choses de près, nous sommes obligés de déchanter.

Nous avons, d’abord, été très flattés dans notre amour-propre d’être associés à l’accord du Pacifique ; et il eût été fâcheux, en effet, que nous en fussions exclus. C’est quelque chose d’être admis à causer, sur un pied d’égalité, avec les autres nations intéressées, des diverses questions qui pourraient, tôt ou tard, compromettre la paix aux antipodes. Mais d’ores et déjà, nous sommes avertis, par le Gouvernement américain lui-même, que cette entente ne constitue, pour aucun des États signataires, l’obligation d’intervenir par les armes en cas de conflit. Ce n’est qu’une promesse de conversation amicale, Much ado about a little thing. Heureux petit commencement, sans doute, et qui peut être suivi de conventions plus précises et plus fécondes ; mais, pour le moment, la France n’a guère de profits à en attendre. Sur quoi porte, en effet, la garantie un peu théorique que les Puissances se sont mutuellement accordée dans le Pacifique ? Sur les îles seulement. Et je ne prétends pas que notre domaine insulaire soit négligeable. La Nouvelle Calédonie, Tahiti, les îles Marquises, les îles Touamotou, les îles Gambier, l’archipel Toubouaï, sont les anneaux d’une chaîne dont la solidité n’est pas indifférente au maintien de l’influence française. Mais nos possessions continentales en Asie sont autrement importantes pour nous que ces petites constellations de colonies éparses à travers l’Océan ; et l’accord du Pacifique passe sous silence le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine. Si jamais nous y étions menacés, même par un des signataires de l’Entente, nous n’aurions pas le droit de nous prévaloir de cet acte pour réclamer la médiation ou l’arbitrage des deux autres Puissances. Si bien qu’à supposer une des quatre nations résolue, un beau jour, à nous attaquer, elle serait assurée, en ne menaçant pas nos îles et en venant bombarder Saigon, de ne pas rompre l’accord. Avouons que nous voilà bien parés.

Nous n’en avons pas moins été amenés à faire de graves concessions sur notre programme naval. Nous avons accepté le chiffre de cent soixante-quinze mille tonnes pour notre proportion de tonnage