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Renaissance savaient faire de ces cartes les plus agréables et les plus luxueuses images, colorées d’azur, de pourpre et d’or, où l’on voit le Peau-Rouge, le Maure et le cannibale animer leurs parties du monde, les monstres marins nager dans les mers et les vaisseaux cingler vers des terres inconnues sous leurs voiles gonflées par le souffle des vents joufflus. Ces galeries de peinture de Thélème, ce sont les appartements de réception, placés, comme il est logique, au-dessus de l’entrée par laquelle accèdent les étrangers, et ceux-ci y peuvent être introduits directement par les merveilleuses vis dont nous avons parlé.

Le reste des bâtiments est rempli par les appartements des Thélémites, comprenant chacun arrière-chambre, cabinet, garde-robe, chapelle, et ayant tous leur issue sur une grande salle, une galerie qui fait à chaque étage le tour du bâtiment. Aux dames sont réservés les logements entre la tour Artice et la tour Anatole, et aussi la moitié des galeries depuis Anatole jusqu’à la porte Mésembrine. Les coiffeurs et parfumeurs se tiennent « à l’issue des salles du logis des dames ». Les hommes occupent le reste. Et tout cela est meublé avec une étonnante magnificence.

Car ce que le luxe le plus raffiné a connu en son temps, Rabelais l’a accordé à ses Thélémites.

Leur costume est d’une richesse qu’il décrit longuement. Sur le pavé de leur logis s’étend un tapis de drap vert, et non de la paille, comme il arrivait souvent alors ; le lit est de broderie, les brûle-parfums ne manquent pas ; à chaque saison, même, la tapisserie des murs varie. Il faut dire que les tentures n’étaient pas alors posées à demeure comme aujourd’hui, mais fixées par quelques clous à leur lisière supérieure, et flottantes ; c’est pourquoi Polonius pourra se dissimuler derrière l’une d’elles, où le viendra chercher l’épée du prince de Danemark ; on les ôtait donc sans peine et la mode voulait qu’on les changeât souvent ; c’était vite fait. Les rois de France, qui passèrent leur vie à voyager, jusqu’à Louis XIV, emportaient leurs tapisseries sur des bêtes de somme, et on les tendait en hâte dans les châteaux où ils devaient séjourner. — Mais voici la grande merveille des ameublements de Thélème : dans chaque arrière-chambre se trouve un miroir de cristal artificiel, si grand qu’il peut « véritablement représenter toute la personne. » Quand on songe que les contemporains de maitre François ne connaissaient guère que les glaces à main et qu’au xviie siècle encore