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parlants du passé. Puis il en méditait, en rapprochait dans le silence les extraits gravés dans sa puissante mémoire, les fécondait lentement par la réflexion et dictait enfin sous une forme qu’il avait profondément travaillée en esprit, perfectionnée à plusieurs reprises et marquée du sceau de son style.

Le plan qu’il avait conçu à l’origine était véritablement colossal. Il embrassait dans une vaste synthèse quatre séries de collections distinctes : 1° Etat des personnes roturières, soit de condition serve, soit de condition libre ; 2° l’état de Ia bourgeoisie considérée dans ses diverses corporations ; 3° ancien état des villes, bourgs et paroisses de France ; 4° rôle du Tiers-Etat dans les assemblées d’états généraux ou provinciaux.

Tâche démesurée, hors de proportion avec les forces humaines, celles surtout d’un infirme toujours près de défaillir. Aussi, dans un rapport officiel à Guizot, en date du 10 mars 1837, l’éditeur reculait-il devant son immensité et, tout en reportant sur l’historien de la Civilisation française l’honneur de lui avoir inspiré sa méthode et ses divisions, avouait-il ne plus songer qu’à la seconde et à la troisième partie du recueil, écartant la quatrième et ajournant la première qui devait faire l’objet d’un supplément spécial.

Sans se dissimuler les difficultés de l’entreprise, Thierry jugeait d’abord la pouvoir mener à bonne fin en deux ans. C’est le délai qu’il s’assigne dans une lettre à Salvandy. Mais pour réduit qu’il soit, le plan de la Collection n’en comporte pas moins encore de longs développements qui entraînent de minutieuses recherches, d’inévitables lenteurs d’exécution. En 1839, en 1840, son auteur se voit obligé de réclamer de nouveaux délais à Cousin et à Villemain. Ce n’est qu’à partir de 1845, en des communications à l’Institut et au comité des Travaux historiques, qu’il va pouvoir commencer d’élever le monument, qu’il a rêvé d’édifier à la bourgeoisie française, pour la glorification des classes laborieuses, des déshérités de la naissance et du privilège, des premiers berceaux de la liberté et de la démocratie.

Un deuil cruel avait attristé pour Augustin Thierry les débuts de ce grand travail. Son père était mort à Blois, le 15 août 1836. L’écrivain ressentit profondément cette perte. Son chagrin éclate douloureusement dans cette lettre à son frère, que je reproduis ici malgré son caractère intime, pour la lumière qu’elle projette sur l’évolution qui commence alors de s’accomplir