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la vie rude et sauvage de l’aventurier, son indiscipline égale à sa bravoure, sa soif de plaisir, ses noces et ses ripailles...

Mais, si vivants que soient restés de tels souvenirs dans toutes ces îles de l’archipel, et bien qu’elles se soient ouvertes, depuis longtemps, aux influences de la civilisation moderne et occidentale, ce qui domine dans les Cyclades, — telles du moins qu’elles nous sont représentées par MM. Boissonnas et Baud-Bovy, — c’est encore la couleur antique. Elles nous apparaissent comme de vastes champs de ruines, et, un peu à la façon de notre Afrique d’aujourd’hui, comme des musées en plein air. Cette résurrection presque totale de tout un passé enseveli, nous en sommes redevables, en grande partie, à la science française.

Si la Crète a été fouillée surtout par des Anglais, ce sont des Français qui ont exhumé Délos. Ici, comme à Delphes, autre cité apollinienne, M. Théophile Homolle aura été le grand initiateur. Si l’on fait le recensement des temples, des chapelles, des trésors, des gymnases, des stades, des théâtres, des portiques, des colonnes, des chapiteaux et des statues qu’il a remis au jour en sa vie d’archéologue, on peut dire qu’il a bien mérité d’Apollon. Et, après de tels services, ce serait ingratitude que de ne point rappeler ceux non moins éminents de ses collaborateurs ou de ses élèves, — de Lebègue d’abord, le premier qui se soit occupé de Délos, puis des Salomon Reinach, des Gustave Fougères, des Chamonard, des Ardaillon, — enfin de M. Maurice Holleaux qui, pendant de longues années, dirigea si brillamment notre Ecole d’Athènes et continua l’œuvre de M. Homolle.

Grâce à tant d’efforts, de patience, de science et d’ingéniosité, une partie considérable de la ville sainte a été déblayée, — du moins la partie la plus importante, celle du port marchand et le quartier des sanctuaires. Les photographies de Boissonnas donnent l’impression d’une ville au moins aussi grande que Pompéï ou Thimgad. Au bord du lac sacré, où voguaient les cygnes d’Apollon, se déploient les blancheurs confuses des ruines amoncelées, que dominent, çà et là, des fûts de colonnes, d’un galbe très pur, surmontées du sévère chapiteau dorien. Deux d’entre elles, plus hautes que les autres, supportent un fragment d’architrave, — et cela fait comme un haut portique qui se découpe sur le bleu du ciel avec une majesté puissante,